Révocation du gérant allemand : peut-il invoquer la même protection qu’un salarié ?

27.08.19
Révocation du gérant allemand : peut-il invoquer la même protection qu’un salarié ?
Révocation du gérant allemand : peut-il invoquer la même protection qu’un salarié ?
Révocation du gérant allemand : peut-il invoquer la même protection qu’un salarié ?

Par principe, le gérant d’une GmbH n’est pas un salarié

Le gérant d’une GmbH (SARL de droit allemand) occupe une position particulière en droit des sociétés allemand : il est en même temps un organe de la société et l’employé de cette dernière. Le statut du gérant d’une GmbH en même temps salarié est une particularité du droit allemand. Ce statut n’existe pas pour le gérant français, qui doit avoir un contrat de travail pour des fonctions distinctes. En raison de ce double rôle d’organe de représentation et d’employé se pose régulièrement la question de savoir si le gérant d’une GmbH peut, comme un salarié, se prévaloir d’une protection contre le licenciement.

En règle générale, lors de sa révocation, le gérant d’une GmbH ne bénéficie pas d’une protection contre le licenciement. Sa relation avec la GmbH n’est en principe pas une relation de travail. Une telle relation de travail n’existe que dans certains cas exceptionnels. Par ailleurs, la protection générale prévue par le droit du travail allemand et issue de la loi allemande sur la protection contre les licenciements abusifs (Kündigungsschutzgesetz) n’est en principe pas applicable. La jurisprudence a cependant, dans différents cas, accordé au gérant une protection générale ou parfois partielle contre le licenciement.

Pour comprendre que la question de l’application de la protection contre le licenciement emporte des réponses différentes en fonction de la relation de droit entre le gérant et la GmbH, il convient de rappeler dans un premier temps la séparation entre nomination en tant que représentant légal et signature d’un contrat de prestations de services.

Nomination du gérant de la GmbH et contrat de prestations de services

C’est au gérant d’une GmbH en tant qu’organe qu’incombe la représentation de la société. Son pouvoir de représentation résulte automatiquement de la nomination par les associés en tant qu’organe conformément à l’art. 35 al. 1 GmbHG. La nomination confère au gérant le pouvoir d’agir pour la GmbH. Ce faisant, le gérant doit respecter les directives des associés.

Il est impératif de distinguer entre l’embauche dans le cadre d’un contrat de prestations de services et la nomination. La première concerne les relations juridiques personnelles du gérant envers la GmbH. Dans le contrat de prestations de services sont réglées, subsidiairement aux rapports du gérant avec la GmbH en sa qualité d’organe, les relations juridiques entre le gérant et la société qui ne sont pas déjà fixées pour le mandat du gérant au sein de la société dans la loi ou les statuts. La conclusion d’un contrat régi par le droit des obligations entre la GmbH et son gérant n’est pas obligatoire.

La nature juridique de la relation entre le gérant et la GmbH et l’applicabilité de dispositions du droit de travail au gérant de la Gmbh

La relation entre le gérant et la GmbH peut prendre la forme d’un contrat de mandat selon les articles 662 et suivants BGB (Code civil allemand), si l’activité de gérance se fait sans rémunération. Dans la plupart des cas, une rémunération pour l’activité du gérant est cependant prévue, ce qui fait qu’il s’agit d’un contrat de prestation de service sous la forme d’un contrat de gestion selon les articles 675, 611 BGB.

La classification de la relation entre le gérant et la GmbH comme contrat de prestation de service ne suffit cependant par pour déterminer s’il s’agit d’une relation de travail. En effet, le contrat de prestation de service n’est pas forcément un contrat de travail.

La Cour fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht, BAG) décide au cas par cas suivant le degré de dépendance personnelle du gérant envers la société. Selon ce critère, le gérant de la GmbH est exceptionnellement considéré comme salarié, si la société détient un pouvoir de donner des directives qui dépasse son droit de direction, l’autorisant alors de donner au gérant des directives sur son travail et sur les processus. La société doit être en position de déterminer les modalités concrètes de la prestation des services de gérance comme le contenu, l’exécution, le temps, la durée et le lieu de l’activité. Le gérant doit alors dans chaque cas agir de façon dépendante et liée par des instructions.

La Cour suprême fédérale allemande (Bundesgerichtshof, BGH) considère la relation entre le gérant et la GmbH comme une relation de service libre. La cour refuse la qualification du gérant comme salarié par le motif que le gérant exerce lui-même des fonctions d’un employeur en raison de son statut d’organe comme représentant de la GmbH et de son influence en résultant sur la formation de la volonté de la GmbH.

Indépendamment de son rejet d’une relation de travail, le BGH autorise cependant dans des cas exceptionnels l’application de dispositions du droit de travail au gérant. La condition pour cela est que le gérant de la GmbH est économiquement dépendant et que les différentes dispositions légales n’excluent pas l’application sur des organes de direction. Concrètement, les fonctions du gérant comme représentant légal et dirigeant d’entreprise ne doivent être que d’une importance secondaire. Ce qui compte est si la disposition du droit de travail sert principalement à garantir l’existence personnelle et financière du gérant. Il importe tout particulièrement si le gérant de la société met à disposition sa force de travail comme activité principale à l’instar d’un salarié. Par ailleurs, la fonctionnalité des organes ne doit pas être compromise. Cela ne pose guère de problème pour un gérant non-associé. Dans le cas d’un gérant qui est associé minoritaire, il peut être décisif qu’il ait ou non la faculté d’empêcher l’adoption de décisions par sa minorité de blocage. L’application de dispositions du droit de travail allemand n’est cependant pas envisageable pour un associé majoritaire, qui en tant qu’actionnaire a une influence tellement grande sur la gestion de la société qu’il dispose également du pouvoir de direction.

Pas de protection générale contre le licenciement pour le gérant

La notion de la protection générale contre le licenciement désigne une protection contre le licenciement dans le sens de la loi allemande sur la protection contre les licenciements abusifs (Kündigungsschutzgesetz, KSchG). Selon cette loi, un salarié peut contester son licenciement devant un tribunal sous certaines conditions. En application de la protection générale contre le licenciement, un licenciement n’est valable que s’il est socialement justifié. Pour cela il faut un motif personnel, ou économique.

Par principe, cette protection ne s’applique cependant pas au gérant d’une GmbH. Il existe notamment deux obstacles légaux : art. 1 al. 1 KSchG et 14 al. 1 n° 1 KSchG.

  • Selon l’article 1 al. 1 KSchG, la loi sur la protection contre les licenciements abusifs concerne la « résiliation de la relation de travail vis-à-vis du salarié ». Selon la jurisprudence de la plus haute juridiction, le gérant d’une GmbH n’est cependant par principe pas un salarié ;
  • Si dans un cas particulier, une vérification des critères précités développés par cette jurisprudence pour une relation de travail, à savoir la dépendance et l’obligation de se conformer aux instructions, révèle exceptionnellement qu’il existe bien une relation de travail entre la GmbH et le gérant, l’application du KSchG se heurte à l’article 14 al. 1 n° 1 KSchG. Cette norme exclut explicitement du champ de protection des organes de direction de personnes morales, qui sont nommées comme représentants légaux de la société.

Protection générale contre le licenciement pour le gérant d’une GmbH dans de rares cas exceptionnels

A l’aide de différentes situations, qui peuvent se présenter dans le cadre d’une activité de gérant, nous exposerons ci-après l’applicabilité ou l’exclusion de la protection contre le licenciement pour le gérant d’une GmbH.

Accord contractuel individuel de la validité du KSchG dans le contrat de mandat de gérant

L’application de la loi allemande sur la protection contre les licenciements abusifs peut être explicitement convenue dans le contrat de mandat de gérant. Pour cela, il faut cependant respecter les dispositions légales et statutaires concernant le mandat de gérant.

La loi impose par exemple que les contrats de mandat de gérant pour des GmbH participatives selon la loi MitbestG (concerne généralement des entreprises avec plus de 2 000 salariés) soient à durée déterminée et d’au maximum cinq ans. L’application de la loi allemande sur la protection contre les licenciements abusifs n’est pas compatible avec cette règle et une clause faisant référence à cette législation protectrice dans le contrat de mandat de gérant serait alors inopérante.

Si l’application du KSchG est valablement conclue dans le contrat de mandat du gérant, un licenciement inopérant selon le KSchG n’implique pas forcément la continuation de la relation entre le gérant et la GmbH. En cas de litige devant un tribunal avec le gérant concernant la validité du licenciement, la GmbH a généralement la possibilité de demander une résolution du contrat de mandat contre le paiement d’une indemnité. Cela peut résulter de l’interprétation par le juge du contrat de mandat. Le tribunal supposera de façon régulière que les parties au contrat n’avaient pas l’intention de concéder au gérant des protections au-delà de la loi sur la protection contre les licenciements abusifs.

Protection contre le licenciement comme par le biais d’un contrat de mandat de gérant avec un tiers

Dans le cas d’un contrat de mandat de gérant avec un tiers, le contrat de mandat de gérant n’est pas conclu avec la GmbH, mais avec une entreprise tierce.

Dans une GmbH & Co. KG il est possible de conclure le contrat de mandat de gérance pour la GmbH commanditée avec la GmbH & Co. KG au lieu de la GmbH commanditée. Pour une telle configuration, la Cour fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht, BAG) a décidé que la protection générale contre le licenciement au profit du gérant s’appliquait envers la GmbH & Co. KG, parce que la partie concernée n’était justement pas gérante de la GmbH & Co. KG.

Il existe également un contrat de mandat de gérant avec un tiers quand un salarié de la société-mère est nommé gérant d’une filiale. Même si le gérant agit désormais exclusivement pour la filiale, le contrat de travail avec la société-mère voit son exécution suspendue. Même la conclusion d’un contrat de mandat de gérant avec la filiale ne change rien au maintien d’un contrat de travail avec la société-mère. Dans les cas énoncés, le rapport entre les organes existe à chaque fois envers la filiale et non pas envers la société-mère. L’exclusion de la protection générale contre le licenciement selon l’article 14 al. 1 n° 1 KSchG ne s’applique pas vis-à-vis de la société-mère. Le gérant de la filiale qui est en même temps salarié de la société-mère peut alors faire valoir une protection contre le licenciement selon les règles du droit du travail vis-à-vis de la société-mère.

Suspension de l’exécution du contrat de travail : protection contre le licenciement en cas de reprise

La relation de service du gérant d’une GmbH peut être interprétée comme relation de travail, si le futur gérant est d’abord employé comme salarié de la GmbH et ensuite promu au poste de gérant. Il existe plusieurs possibilités concernant le maintien du contrat de travail :

  • Lors de la nomination comme gérant, le contrat de travail peut être maintenu sous une forme modifiée sans nécessité de conclure un nouveau contrat de mandat de gérant. Seules les obligations de la GmbH et du salarié, qui occupe désormais également le poste de gérant, seront modifiées dans le contrat de travail existant ;
  • Si en complément du contrat de travail un contrat de mandat de gérant est cependant conclu avec le salarié nommé gérant, il faut distinguer si le contrat de mandat de gérant est conclu à l’écrit ou à l’oral :

Cas n°1 : Si un contrat de gérance écrit a été signé, selon les juges, il faut considérer que le contrat de travail a été anéanti par la conclusion du nouveau contrat de mandat. Selon la volonté des parties au contrat, une relation de travail ne devrait pas exister régulièrement en parallèle du contrat de prestation de service. Si après une telle neutralisation du contrat de travail d’origine par la nomination comme gérant, le gérant est révoqué sans résiliation du contrat de mandat de gérant, ce contrat n’est pas automatiquement transformé en relation de travail. Une transformation peut cependant être effectuée par un avenant.

Cas n°2 : Si un contrat de gérance a été convenu à l’oral, le contrat de travail est simplement suspendu ; puisque la cessation du contrat de travail n’est possible qu’avec un écrit. Ainsi, la protection de la loi allemande sur la protection contre les licenciements abusifs s’applique au contrat de travail après résiliation du mandat. Après la révocation, l’ancien gérant doit alors continuer à être employé en vertu du contrat de travail qui est réactivé.

Protection partielle contre le licenciement du gérant de la GmbH

Si exceptionnellement les critères précités développés par la jurisprudence (dépendance économique et obligation pour le gérant de se conformer aux instructions) sont remplis ou s’il existe une relation de travail (mandat de gérant avec un tiers ou contrat de travail suspendu), certaines règles de la protection contre le licenciement spécifique peuvent s’appliquer au profit du gérant, dans la mesure où il n’existe pas de règle d’exclusion expresse des organes de la GmbH. Une protection contre le licenciement spécifique pour le gérant d’une GmbH est par exemple possible :

  • lors de la demande d’un congé parental,
  • lors d’un recours à des temps de soins,
  • en cas de handicap.

L’article 17 MuSchG est un cas particulier selon lequel le licenciement n’est pas autorisé en raison de la grossesse. Sur la base du droit européen il existe dans ce cas la particularité que la gérante est toujours considérée comme salariée protégée par les règles sociales, indépendamment des critères développés par la jurisprudence allemande, à savoir la dépendance économique et l’obligation de se conformer aux instructions.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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