Résilier un contrat sans mise en demeure : quand votre cocontractant dépasse les bornes
Publié le 04.09.25

Votre fournisseur devient agressif avec vos employés ? Votre partenaire commercial ne respecte plus aucune règle ? Votre locataire adopte un comportement inacceptable ? Dans certaines situations extrêmes, la loi française permet de résilier immédiatement un contrat sans mise en demeure préalable.
Mais attention : cette possibilité exceptionnelle est encadrée par des conditions strictes. Une rupture brutale du contrat peut vous coûter cher en dommages et intérêts.
Pourquoi cette question est-elle cruciale pour votre entreprise ?
En temps normal, la résiliation d’un contrat commercial suit un processus rigide : mise en demeure, délai de préavis, respect des clauses résolutoires… Ces étapes peuvent prendre des semaines, voire des mois.
Mais que faire quand la situation devient intenable ? Quand poursuivre les relations contractuelles met en danger vos employés, votre activité ou votre réputation ?
La jurisprudence récente de la Cour de cassation (octobre 2023 et janvier 2024) a clarifié les conditions permettant de déroger aux règles habituelles. Une évolution majeure qui change la donne pour les entrepreneurs.
Table des matières
Les principes de base de la résiliation contractuelle
La règle générale : respect des délais
L’article 1103 du Code civil est clair : « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». En pratique, cela signifie que vous devez respecter :
- Les délais de préavis contractuels (même s’ils semblent excessifs)
- Un délai « raisonnable » même si aucun préavis n’est prévu
- Une mise en demeure préalable dans la plupart des cas
Les moyens classiques de sortie de contrat
Avant la résiliation pure, vous disposez d’autres outils :
- Exception d’inexécution : suspendre vos obligations tant que l’autre partie n’exécute pas les siennes
- Réduction du prix : diminuer votre paiement proportionnellement aux défaillances
- Résolution judiciaire : demander au juge de prononcer la fin du contrat, éventuellement pour force majeure.
La résiliation d’urgence sans mise en demeure : les nouveaux critères
« Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. »
L’urgence était jusqu’ici la seule exception reconnue. Mais la jurisprudence a élargi cette possibilité.
L’évolution jurisprudentielle de 2023-2024
La Cour de cassation a posé un nouveau principe : la mise en demeure n’est pas nécessaire « lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine ».
Cette règle révolutionnaire s’applique même sans urgence caractérisée.
Cas pratiques : quand la résiliation immédiate est-elle possible ?
Cas n°1 : Harcèlement et comportements agressifs (Affaire Sodileve, 2023)
Les faits : Une société de maintenance subissait les comportements inacceptables du dirigeant de son client :
- Propos insultants et méprisants envers les techniciens
- Remise en cause publique de leurs compétences
- Ordres directs aux salariés sans informer la hiérarchie
La décision : Résiliation immédiate justifiée. La Cour de cassation a estimé que ces comportements rendaient « manifestement impossible la poursuite des relations contractuelles« .
Le principe : Quand l’attitude du cocontractant empêche matériellement l’exécution du contrat dans des conditions acceptables.
Cas n°2 : Harcèlement sexuel et atteintes à la dignité (Affaire du bailleur, 2024)
Les faits : Un bailleur multipliait les comportements déplacés :
- Visites journalières non justifiées
- Contacts physiques inappropriés avec les salariées
- Propos à connotation sexuelle
- Poursuites pénales pour agressions sexuelles révélées dans la presse locale
La décision : Résiliation des baux sans mise en demeure validée, le personnel étant composé à 80% de femmes.
Le principe : La protection des salariés et de leur dignité justifie la rupture immédiate.
Cas n°3 : Défaillances techniques graves (Affaire Soviam/Agorinfo, 2025)
Attention : Dans cette affaire récente, la Cour d’appel de Rouen a refusé la résiliation immédiate d’un contrat logiciel malgré :
- Installation défaillante
- Formation inadéquate
- Bugs répétés
- Absence de réponses aux demandes
Pourquoi : L’entreprise n’avait pas envoyé de mise en demeure formelle conforme à l’article 1226.
La leçon : Les simples défaillances techniques, même graves, ne suffisent pas sans mise en demeure préalable.
Les critères déterminants selon la jurisprudence récente
La jurisprudence 2023-2025 révèle une approche nuancée des tribunaux. Analysons les facteurs décisifs :
Le formalisme de la mise en demeure reste crucial
L’affaire Soviam (CA Rouen, 2025) le démontre : Un simple email disant « il faut trouver une solution en urgence sinon nous arrêterons tout » ne constitue pas une mise en demeure valide.
Les exigences formelles :
- Envoi en recommandé avec accusé de réception
- Mention expresse du droit de résoudre le contrat en cas de non-exécution
- Délai raisonnable accordé pour remédier aux défaillances
La gravité exceptionnelle du comportement
Échelle de gravité établie par la jurisprudence :
Gravité maximale (résiliation immédiate possible) :
- Violence, menaces, harcèlement
- Atteintes à la dignité des salariés
- Impossibilité matérielle de poursuivre l’exécution
Gravité intermédiaire (mise en demeure obligatoire) :
- Défaillances techniques répétées mais corrigeables
- Retards dans l’exécution
- Désordres « mineurs » même répétés
Faible gravité (résiliation abusive) :
- Mésententes ponctuelles
- Difficultés d’adaptation normales
- Problèmes de communication
L’impossibilité de remédier aux manquements
Test jurisprudentiel : La mise en demeure serait-elle « vaine » ?
Critères d’évaluation :
- Le cocontractant peut-il encore corriger ses défaillances ?
- A-t-il manifesté sa volonté de ne pas s’améliorer ?
- Les manquements sont-ils de nature irrémédiable ?
Comment procéder en pratique : la méthode étape par étape
Étape 1 : Documenter scrupuleusement
Avant toute action, constituez un dossier solide :
- Témoignages écrits des personnes concernées
- Échanges de courriels montrant l’escalade
- Constats d’huissier si nécessaire
- Preuves matérielles (photos, enregistrements légaux)
Étape 2 : Évaluer la gravité objective
Posez-vous les bonnes questions :
- Les faits sont-ils suffisamment graves ?
- Avez-vous tenté de résoudre le problème ?
- Une mise en demeure pourrait-elle encore servir ?
Étape 3 : Notifier la résiliation
Le courrier de résiliation doit être :
- Motivé précisément : détaillez les faits reprochés
- Envoyé en recommandé avec accusé de réception
Si votre situation correspond parfaitement aux conditions de droit (à vérifier!), vous pouvez télécharger sous ce lien un modèle pour un courrier de résiliation.
Même justifiée, votre décision pourra être contestée. Préparez :
- L’assignation éventuelle de votre cocontractant
- Vos demandes reconventionnelles (dommages et intérêts)
- Vos témoins et preuves pour l’audience
Les risques à éviter absolument
La résiliation abusive
Coût potentiel : Dommages et intérêts correspondant au préjudice causé (souvent plusieurs mois de chiffre d’affaires).
Comment l’éviter : N’utilisez cette procédure que dans les cas les plus graves.
L’insuffisance de preuves
Risque : Contestation victorieuse de votre cocontractant.
Protection : Documentez tout, gardez des traces écrites.
La précipitation
Erreur classique : Résilier dans l’émotion sans analyse juridique.
Solution : Consultez un avocat avant d’agir, même en urgence.
Questions fréquentes
Puis-je résilier si mon cocontractant ne paie plus ?
Le simple impayé nécessite généralement une mise en demeure. Sauf si s’y ajoutent des comportements fautifs graves.
La résiliation immédiate s’applique-t-elle aux contrats de travail ?
Non, le droit du travail a ses propres règles pour le licenciement pour faute grave.
Combien de temps ai-je pour agir ?
Agissez rapidement après la découverte des faits. L’inaction prolongée peut être interprétée comme une acceptation.
Dois-je informer mes assureurs ?
Oui, prévenez immédiatement votre assurance responsabilité civile professionnelle.
Conclusion : une arme juridique à double tranchant
La possibilité de résilier sans mise en demeure est un outil puissant pour les entrepreneurs confrontés à des situations extrêmes. La jurisprudence récente l’a rendue plus accessible, mais elle reste risquée.
Les clés du succès :
- Documentation irréprochable des manquements
- Gravité objective des comportements reprochés
- Conseil juridique avant d’agir
- Courrier de résiliation parfaitement motivé
Face à un cocontractant qui « dépasse les bornes », vous n’êtes plus démuni. Mais utilisez cette possibilité avec précaution : en cas d’échec, les conséquences financières peuvent être lourdes.
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Françoise Berton, avocat en droit allemand
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