Refus de reconnaissance d’un jugement étranger en Europe

31.08.15  
Un jugement étranger sur une saisie de whiskey
Refus de reconnaissance d’un jugement étranger en Europe
Un jugement étranger sur une saisie de whiskey

Le 16 juillet 2015, à l’occasion d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la possibilité pour une juridiction d’un Etat membre de ne pas reconnaître une décision de justice rendue dans un autre Etat membre.

Juridiction étrangère statuant sur une saisie de contrefaçon de marque

Une société néerlandaise, titulaire d’une marque connue de whisky, commercialisait son produit en Bulgarie par l’intermédiaire d’un importateur local exclusif. Le 31 décembre 2007, une entreprise bulgare a reçu un conteneur en provenance de Géorgie contenant plus de dix milles bouteilles de cette marque. La société néerlandaise a considéré que cette importation en Bulgarie, sans son autorisation, constituait une contrefaçon de sa marque. Elle a alors sollicité et obtenu l’autorisation le 12 mars 2008 de faire saisir le lot par le Tribunal de la ville de Sofia. Après un recours formé par la société bulgare, cette autorisation de saisie a toutefois été annulée par la Cour d’appel de Sofia le 9 mai 2008.
Par ailleurs, dans une décision du 11 janvier 2010 concernant la procédure au fond, le Tribunal de la ville de Sofia n’a pas reconnu l’atteinte à la marque de la société néerlandaise, estimant de ce fait que la saisie avait eu un caractère illégal.

La société hollandaise n’ayant pas formé de recours contre la décision de la Cour suprême de cassation bulgare, cette décision est devenue définitive. La société bulgare, se fondant sur la décision du 11 janvier 2010, a alors demandé aux juridictions néerlandaises de condamner la société néerlandaise à lui verser des indemnités en raison du préjudice découlant de la saisie.

La société remet en cause la décision prise par la juridiction d’un autre Etat membre et sa reconnaissance dans son propre Etat membre

La société néerlandaise a contesté le versement d’indemnités pour saisie illégale car, selon elle, la décision de la Cour suprême de cassation bulgare ne pouvait pas être reconnue aux Pays Bas. La société néerlandaise s’est fondée sur l’article 34 point 1 du règlement n’44/2001, selon lequel, une décision n’est pas reconnue dans les autres Etats membres si « la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat membre requis ». Or, selon la société néerlandaise, cette décision ne peut pas être reconnue parce qu’elle avait mal appliqué le droit de l’Union européenne.

En première instance, le Tribunal d’Amsterdam a donné raison à la société néerlandaise. Mais la Cour d’appel d’Amsterdam n’a pas suivi la même interprétation. Finalement, le litige a été porté devant la Cour suprême des Pays-Bas, qui a posé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle.

Les limites à la non-reconnaissance d’une décision prise par une juridiction d’un autre Etat membre

Dans un premier point, la Cour suprême des Pays-Bas a demandé

  • si le fait qu’une décision d’une juridiction d’un Etat membre soit contraire au droit de l’Union européenne justifie le refus de reconnaissance de cette décision au titre de la protection de l’ordre public et
  • s’il faut, par ailleurs, tenir compte du fait que la société néerlandaise, qui s’oppose à cette reconnaissance, n’a pas exercé de voies de recours contre la décision contestée.

Dans sa décision du 16 juillet 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a en premier lieu rappelé qu’il appartient aux Etats membres de déterminer les exigences de leur ordre public, et donc l’application de l’exception de non-reconnaissance. Elle a considéré qu’elle doit, néanmoins, contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un Etat membre peut avoir recours à cette notion pour ne pas reconnaître une décision d’un autre Etat membre.

Reconnaissance d'un jugement  étrangerSelon la Cour de justice de l’Union européenne, le seul fait qu’une décision d’un Etat membre ne respecte pas le droit de l’Union ne permet pas de justifier qu’elle ne soit pas reconnue dans un autre Etat membre pour violation de son ordre public. A cette occasion, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que le refus motivé par la protection de l’ordre public n’est recevable que si l’erreur de droit invoquée impliquerait que la reconnaissance de la décision « entraînerait la violation manifeste d’une règle de droit essentielle dans l’ordre juridique de l’Union et donc dudit État membre

Par ailleurs, elle a confirmé que, dans le cas où une violation de l’ordre public est invoquée, l’Etat requis doit aussi tenir compte du fait que, « sauf circonstances particulières rendant trop difficile ou impossible l’exercice des voies de recours dans l’État membre d’origine, les justiciables doivent faire usage dans cet État membre de toutes les voies de recours disponibles afin de prévenir en amont une telle violation. » En effet, selon la Cour de justice de l’Union européenne, la société néerlandaise aurait dû utiliser les voies de recours du système juridique bulgare car elles permettent, avec le mécanisme du renvoi préjudiciel, de fournir aux justiciables une garantie suffisante.

Dans cette décision la Cour de justice de l’Union européenne a semble-t-il estimé nécessaire de rappeler le principe en droit européen de confiance mutuelle entre Etats membres dans l’application des décisions rendues par un autre Etat membre. Ici, elle a limité l’invocation de l’ordre public en précisant le caractère manifestement contraire à l’ordre public.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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