La fin du télétravail après la crise sanitaire ?

02.09.21  
Fin du télétravail après la crise sanitaire
La fin du télétravail après la crise sanitaire ?
Fin du télétravail après la crise sanitaire

Le 9 juin 2021, puis le 1er septembre 2021, le Gouvernement a assoupli le recours au télétravail : le télétravail n’est plus la règle et la plupart des entreprises font revenir leurs salariés dans leurs locaux.

Le grand défi de nombreuses entreprises consiste donc maintenant à amorcer la transition entre la période de crise sanitaire du Covid-19 et l’activité salariée hors crise qui interviendra à plus ou moins brève échéance.

Les salariés qui ont souffert d’isolement seront heureux d’abandonner le télétravail. Mais, selon un sondage d’OpinionWay réalisé pour le cabinet Empreinte Humaine, 74% des télétravailleurs ne souhaitent pas revenir à un présentiel à temps plein. Au-delà de l’aspect humain, de nombreuses questions juridiques se posent pour les employeurs et leurs salariés dans cette situation inédite en droit du travail.

La fin du 100% télétravail et une reprise progressive du travail sur site

Le retour au travail sur site à 100 % est autorisé depuis le 1er septembre 2021 pour les salariés pouvant télétravailler. Jusqu’alors, le télétravail devait être pratiqué en entreprise lorsqu’il était possible.

Le 9 juin 2021, les règles relatives au télétravail avaient été assouplies. Les entreprises pouvaient fixer, dans le cadre du dialogue social avec les représentants du personnel ou les salariés directement, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, dès que cela était compatible avec les missions exercées par les salariés. Le nombre de jours de télétravail par semaine était défini au niveau de chaque entreprise.

Désormais, au 1er septembre 2021, il n’y a plus de jours minimaux de télétravail dans la semaine.

Mais, comme de nombreux salariés, dont le poste de travail le permettait, ont pris leurs repères en télétravail et ont même parfois réorganisé leur lieu de vie depuis presque un an et demi, le retour peut s’avérer délicat. On peut déjà dire que le travail sur site ne reprendra pas partout comme avant.

Le télétravail pendant la crise de la Covid-19 en chiffres

Une enquête a été réalisée par le réseau des Agences nationale et régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Anact-Aract) à l’occasion de la 18ème semaine de la Qualité de vie au travail (QVT). Il en ressort qu’aussi bien en 2020 qu’en 2021, les salariés souhaitent maintenir un niveau élevé de télétravail : plus de 3 jours par semaine pour 36% des répondants, à hauteur d’1 ou 2 jours pour 56%.

Les conditions se sont nettement améliorées depuis un an : près de trois quarts des répondants estiment disposer d’un environnement matériel adapté (72% contre 67% en 2020) et d’outils numériques adéquats (95% contre 87% en 2020) mais seuls 20% témoignent d’une prise en charge par l’entreprise des surcoûts liés à ce mode d’organisation. 77% s’estiment aussi en mesure de réaliser l’ensemble de leur activité à distance (contre 61% il y un an).

Il y a eu de nombreuses améliorations dans la gestion des outils, dans la gestion du temps mais il reste encore des inconvénients notamment car les relations de travail se sont dégradées (37% des cas selon l’étude) et cela affecte la santé des travailleurs. 63% d’entre eux ont le sentiment de « travailler plus ».

50% (35 % en 2020) ressentent de la « fatigue » et 40% disent souffrir d’ « isolement ». Au total, ils sont 39% à appréhender le retour sur site. 

Le réseau Anact-Aract explique ces résultats par plusieurs facteurs : l’augmentation de la charge de travail pour rattraper le temps perdu; la densification de l’activité à distance (travail supplémentaire réalisé sur le temps dégagé par la diminution des temps de pause, des échanges informels ou encore des temps de trajet); l’augmentation des plages horaires pour pouvoir pour gérer l’articulation entre vie professionnelle-vie personnelle.

OpinionWay a également réalisé une étude « impact de la crise sanitaire sur la santé psychologique des salariés », selon laquelle il ressort que la moitié des télétravailleurs ne souhaitent pas revenir au bureau « comme avant » et que 8 salariés sur 10 sont favorables à un télétravail « à la carte ».

Que doit faire l’employeur s’il continue à appliquer le télétravail après le 1er septembre 2021 ?

A ce stade, l’employeur peut continuer à pratiquer le télétravail en dehors de la règlementation du télétravail à domicile « classique ». Il peut choisir de le faire en en discutant avec le CSE.

Il peut aussi choisir de mettre dès à présent en place un accord d’entreprise pérenne sur le télétravail (en général, sur le télétravail partiel), comme l’ont déjà fait de nombreuses entreprises durant la crise sanitaire.

Le salarié peut-il refuser de revenir travailler sur site ou imposer son déménagement ?

Si l’employeur n’a pas souhaité mettre en place de manière permanente le télétravail partiel, il peut se voir confronté à des réactions négatives de la part de certains salariés.

Le refus de salariés de revenir en entreprise peut être notamment lié à un déménagement ou autre changement de vie durant la crise sanitaire. Certains sont même partis à l’étranger pour profiter d’un meilleur climat ou de conditions de vie moins onéreuses.

D’après une enquête de l’ANDRH (association nationale des directeurs des ressources humaines), « Sortie de crise, emploi et dialogue sociale », « 30% des répondants […] disent être confrontés à des demandes de salariés en télétravail qui ont déménagé, vendu leur maison ou qui envisagent de déménager et veulent voir comment ils vont pouvoir travailler, ce qui n’arrivait pas avant ».

La règle est simple : si l’employeur décide de faire revenir après le 31 aout 2021 à 100% sur site les salariés, ces derniers ne peuvent refuser de revenir sur le lieu de travail, sauf justification valable. Un refus non justifié pourrait entrainer des sanctions disciplinaires pouvant aller d’un simple rappel à l’ordre au licenciement. Mais la sanction doit toujours être proportionnée et dépendra de la situation de chaque salarié.

Mais si le refus de retourner au travail en entreprise concerne un salarié auquel l’entreprise tient particulièrement ou si ce refus touche un nombre non négligeable de membres du personnel, la sanction disciplinaire n’est pas envisageable.

S’il s’agit de salariés isolés, l’employeur peut aménager dans leur contrat de travail le télétravail. S’il s’agit de tout le personnel ou de certaines catégories, des négociations sont alors à mener sur un accord d’entreprise sur le télétravail. Selon l’ANDRH, « 25% des 96.500 accords d’entreprises signés en 2020 » portent sur le télétravail que beaucoup de salariés souhaitent poursuivre à raison de deux à trois jours par semaine.

Les partenaires sociaux, CGT exceptée, ont signé fin novembre 2020 un accord national interprofessionnel encadrant le télétravail, qui n’est ni prescriptif, ni normatif.

La protection de la vie privée du salarié empêche-t-elle l’employeur de le contraindre de se rapprocher de son lieu de travail ?

En principe, le choix du domicile est l’une des composantes de la vie privée du salariée, protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Si, en tant qu’employeur, vous demandez à votre salarié de se rapprocher de son lieu de travail, cela pourrait être vu comme une atteinte à une liberté fondamentale du salarié.

Mais l’article L. 1121-1 du Code du travail indique qu’il est possible de porter atteinte à une liberté fondamentale du salarié lorsque cela est justifié et proportionné au regard de l’emploi occupé et des tâches attribuées au salarié.

La Cour d’appel de Versailles s’est prononcée récemment sur la question. Dans un arrêt du 10 mars 2022, la Cour d’appel a validé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait refusé de se rapprocher de son lieu d’affectation. Il avait déménagé en 2018 à 400 kilomètres de son lieu d’affectation.

La Cour d’appel s’est fondée sur l’obligation de sécurité reposant sur l’employeur en indiquant que la distance était source de fatigue. De plus, l’employeur devait veiller au repos quotidien de son salarié ainsi qu’à l’équilibre entre la vie privée et familiale conformément à la convention de forfait jours signée.

La Cour d’appel s’est également fondée sur l’obligation de sécurité du salarié envers lui-même conformément à l’article L. 4122-1 du Code du travail. Le salarié aurait pu se mettre en danger dans l’exécution de son travail en raison de la fatigue liée aux trajets.

Ainsi, l’atteinte à la vie privée du salarié a été ici justifiée et proportionnée au regard de l’obligation de santé et sécurité du salarié.

Cet arrêt peut paraître surprenant car en principe, l’obligation de santé et sécurité s’applique lors de l’exécution du contrat, et non pas lors des trajets.

Par ailleurs, le salarié était ici responsable support technique et n’était pas forcément un travail très pénible nécessitant un suivi particulier au sujet de la fatigue.

Les télétravailleurs partis à l’étranger

Il a été prévu pour les frontaliers au sein de l’Union Européenne qui restent chez eux pour télétravailler et ainsi changent de pays d’activité salarié une règle transitoire spécifique à la crise sanitaire permet de ne pas faire basculer ce frontalier dans le système de Sécurité Sociale de son pays de résident selon les règles habituelles.

Mais qu’en est-il de salariés partis à l’autre bout du monde ? Leur employeur peut se retrouver confronté à une situation juridique complexe, les règles internationales sur le droit du travail et sur la Sécurité Sociale compétente applicables à leur relation de travail peuvent interférer sans que l’employeur et le salarié en aient conscience. Il est donc important pour l’employeur de faire une analyse juridique avant d’accepter une demande de déménagement permanent à l’étranger d’un salarié.

Vers la création d’un statut européen du télétravailleur transfrontalier ?

Depuis début octobre 2021, le conseil parlementaire de la Grande Région, présidé actuellement par la région Grand-Est, a indiqué être favorable à la création d’un statut européen du télétravailleur transfrontalier. Ce statut permettrait notamment de prendre en compte l’impact du télétravail sur l’organisation des différentes entreprises et la gestion à distance des ressources humaines. Le bassin de la Grande Région compte 11,2 millions d’habitants répartis entre les différentes régions frontalières (Allemagne, Luxembourg,  Belgique et France). L’objectif principal est d’éviter la délocalisation de la main d’œuvre et d’assurer la protection des salariés et la compétitivité des entreprises.

Ce statut pose d’ores et déjà des questions majeures au sujet de la fiscalité et des cotisations sociales notamment.

Actuellement, le télétravail est régi par l’accord-cadre européen du 16 juillet 2002 et reste lié aux conventions fiscales et sociales conclues entre les Etats. Par exemple, la convention fiscale franco-luxembourgeoise fixait, avant la crise de la Covid-19, le nombre maximal de jours de télétravail par an à 29 pour les lorrains travaillant au Luxembourg. En cas de dépassement, c’était le régime social et fiscal français qui s’appliquait, ce qui était évidemment bien moins intéressant pour les employeurs.

De nombreuses dérogations ont été mises en place lors de la crise sanitaire et plusieurs frontaliers interrogés espèrent une augmentation du nombre de jours de télétravail autorisés, même en dehors de tout contexte de crise sanitaire.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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Photo: blacksalmon

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