Le droit de grève en Allemagne : cadre juridique et implications pratiques

Mis à jour le 20.11.25
Le droit de grève en Allemagne
Le droit de grève en Allemagne repose sur un cadre juridique précis défini par la jurisprudence.
Le droit de grève en Allemagne

Saviez-vous qu’en Allemagne le droit de grève obéit à des règles radicalement différentes de celles que nous connaissons en France ? Cette particularité juridique façonne profondément les relations sociales outre-Rhin et influence le quotidien de milliers de travailleurs et travailleuses franco-allemands. Comprendre ces spécificités devient essentiel pour les entreprises internationales, les salariés détachés ou simplement pour saisir l’actualité sociale européenne. Les mouvements sociaux en Allemagne suivent un cadre strict avec des procédures précises et des limitations que beaucoup ignorent.

Face à ces subtilités juridiques, notre cabinet d’avocats franco-allemand vous accompagne pour naviguer dans cette complexité et vous offre une analyse approfondie des enjeux liés au droit de grève germanique.

Sommaire

En bref

En Allemagne, le droit de grève trouve son fondement constitutionnel dans l’article 9, paragraphe 3 de la Loi fondamentale et est structuré par la jurisprudence faute de texte spécifique. Les grèves doivent être déclenchées par des syndicats ou organisations collectives, après épuisement des négociations, et respecter les principes de proportionnalité et de dernier recours. Certaines professions (fonctionnaires, secteur urgentiste, journaux…) sont soumises à des restrictions particulières. Enfin, la grève suspend l’obligation de travailler et de rémunérer, mais n’affranchit pas d’un éventuel risque de responsabilité si elle est jugée illégale.

Le droit de grève, un droit inscrit dans la Constitution allemande

En Allemagne, le droit de grève relève de la liberté d’association qui est inscrite à l’article 9 de la Loi fondamentale allemande (« Grundgesetz »). Le troisième paragraphe de cet article 9 est spécifiquement dédié à la liberté de s’associer à d’autres pour la sauvegarde et l’amélioration des conditions de travail. La grève peut être un moyen utilisé dans le cadre de cette liberté d’association pour la défense des conditions de travail. Le droit de grève a donc un fondement constitutionnel.

Mais la Loi fondamentale ne contient que trois phrases sur cette liberté d’association pour la défense des conditions de travail, et le droit de grève n’est pas explicitement mentionné. Beaucoup de choses restent floues. Il n’existe pas de loi spécifique sur les grèves, dans laquelle les détails d’une grève seraient réglés. Si l’on veut savoir quand est-ce que la grève est autorisée et quelles sont les conséquences d’une grève, il faut donc regarder comment les juges appliquent concrètement la Loi fondamentale.

Les juges allemands appliquent le droit de grève lorsque les employeurs et les travailleurs ne sont pas d’accord à propos du droit de grève et de son exercice. Les tribunaux du travail allemands (équivalents des conseils de prud’hommes français) sont spécialement chargés de ce genre de litiges. Le dernier mot pour toute l’Allemagne revient à la Cour de cassation du travail allemande (Bundesarbeitsgericht). Tout dépend donc de la manière dont les juges du Conseil de Prud’hommes interprètent le droit de grève.

Il y a aussi la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht). Elle doit veiller à ce que les droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale soient respectés, dont justement le droit de s’associer à d’autres pour défendre les conditions de travail. La Cour constitutionnelle fédérale reconnait aux juges du Conseil de Prud’hommes toute compétence sur les questions du droit de grève, dès lors qu’il n’existe pas de loi spécifique.

Définition du droit de grève allemand

Voici ce qui caractérise la grève en Allemagne :

  • Lors d’une grève, les travailleurs allemands cessent de travailler. Ils rentrent simplement chez eux ou ne viennent pas travailler. Mais ce n’est pas un salarié qui décide seul. De nombreux salariés se concertent et arrêtent le travail ensemble. Ils s’organisent donc au préalable en se regroupant en syndicats. Ils agissent « collectivement ».
  • Les salariés ne font pas non plus grève simplement parce qu’ils n’ont plus envie de travailler. Ils poursuivent des objectifs communs. Ils veulent continuer à travailler lorsqu’ils ont atteint leur objectif. La plupart du temps, les travailleurs veulent une augmentation de salaire ou une réduction des heures de travail, ou les deux. Mais il peut aussi s’agir d’obtenir d’autres conditions de travail, par exemple une meilleure protection de la santé en travaillant moins la nuit.

Les différentes formes de grève

On distingue différentes formes de grèves :

  1. La grève totale initiée par tous les travailleurs de toutes les entreprises ou de certaines entreprises soumises à la même convention collective;
  2. La grève générale mise en œuvre par des salariés dans tout le pays indépendamment des secteurs;
  3. La grève partielle/concentrée, où les travailleurs ne font grève que dans certaines parties de la zone de négociation ou que dans certaines entreprises, voire certaines parties de l’entreprise. Le syndicat choisit généralement des entreprises clés ou des parties stratégiques d’une entreprise pour son fonctionnement. Le but: un impact maximum avec peu de moyens.

Les règles générales de la grève en Allemagne

En Allemagne, la grève spontanée sans annonce officielle à l’avance ou aussi appelée « grève sauvage » (« Wilder Streik ») est illégale. Pour que la grève soit légale, plusieurs conditions doivent être remplies. Les deux principales conditions sont que :

  1. un syndicat doit formellement appeler les travailleurs à la grève et
  2. les revendications puissent être satisfaites par l’employeur.

Les juges examinent au cas par cas si une grève est légale ou pas.

La différence entre une grève légale et une grève illégale est importante car lorsque la grève est illégale (« Wilder Streik »), l’employeur a le droit de licencier les salariés grévistes, après avoir formulé une demande de reprise de travail.

L’appel formel par le syndicat à la grève des travailleurs

Seul un syndicat qui a le pouvoir de participer aux négociations collectives (« Tariffähige Gewerkschaft ») a le droit d’appeler à la grève. Par exemple, les membres d’un groupe WhatsApp ne peuvent pas appeler à la grève (décision du Tribunal de Berlin-Brandenburg 25.4.2023, NZA–RR 2023, 584).

Le syndicat décide du moment où la grève aura lieu. Il appelle ensuite les travailleurs à faire grève. Dans cet appel à la grève, il indique qui fait grève, quand, pour faire valoir quelles revendications et quelle convention collective doit être renégociée.

Voici un exemple de texte d’appel à la grève par un syndicat : « Appel à la grève. Afin d’imposer notre revendication pour la conclusion de la convention collective X avec les points essentiels notamment XX, XX, XX pour l’employeur XY, le syndicat YZ appelle les salariés à faire grève le XX de XX heures à XX heures ».

Un syndicat n’a pas le droit, par exemple, d’appeler à la grève en utilisant les adresses électroniques professionnelles des salariés, car elles ne sont pas habituellement utilisées également à des fins privées. En effet, cela est considéré comme portant atteinte au droit de propriété de l’employeur. L’employeur peut poursuivre le syndicat en justice pour qu’il cesse d’envoyer des appels à la grève par courrier électronique professionnel.

Les motifs de revendications :

  1. doivent directement concerner les conditions de travail des salariés en grève ;
  2. peuvent parfois concerner les grèves par solidarité avec d’autres salariés ;
  3. ne peuvent jamais être fondées sur des motifs politiques. Par exemple,  la manifestation commune entre un important syndicat des transports en communs d’une ville et un groupe d’activistes pour l’environnement est encore légale car le financement public des transports en commun est en jeu, mais elle se rapproche d’une grève politique. Un Tribunal allemand a précisé récemment que la limite du politique pour cette grève était presque mais pas tout à fait atteinte (ArbG Leipzig v. 29.2.2024 – 14 Ga 5/24).

L’appel à la grève comme dernier recours pour la négociation avec l’employeur

Un syndicat ne peut pas non plus appeler à la grève immédiatement. Si les travailleurs s’absentent de cette manière, ils peuvent causer un préjudice économique important à l’employeur. En outre, la grève touche souvent d’autres personnes. Par exemple, les vacanciers dont le vol est annulé.

C’est pourquoi la grève doit être, en droit du travail allemand, le dernier recours des salariés pour faire valoir leurs revendications.

Les autres moyens avant la grève sont les suivants :

  1. Les travailleurs et les employeurs doivent d’abord négocier entre eux. Les négociations ont lieu entre les syndicats et les organisations patronales. Ils peuvent conclure entre eux des accords sur les conditions de travail (via notamment des conventions collectives). Le législateur doit se tenir à l’écart des négociations d’une convention collective en raison de l’autonomie de la négociation.
  2. Si ces négociations s’enlisent, les organisations patronales et les syndicats tentent encore de recourir à un médiateur.

La grève comme moyen de faire pression pour des négociations ne peut donc être déclenchée que par des syndicats qui ont la capacité de négocier, c’est-à-dire de conclure des conventions collectives. Et l’objectif doit être d’obtenir des conditions de travail qui pourraient être régies par une convention collective. Dans un premier temps, il ne s’agit plus de négocier, mais de se battre.

Il existe également d’autres moyens d’action collective : le boycott, l’abandon, l’occupation de l’entreprise et le blocage. La jurisprudence allemande considère également les actions de flashmob comme des moyens d’action reconnus. Ces autres moyens ne sont pas obligatoires, mais peuvent être utilisés avant la grève ou à la place de la grève.

Quand la grève est-elle interdite ?

En présence d’une convention collective  en vigueur

La grève ne doit pas aller à l’encontre de l’obligation de paix sociale prévue par la convention collective. Celle-ci stipule qu’une grève est exclue pendant la durée de validité d’une convention collective si la réglementation souhaitée est déjà réglée dans cette convention collective. Par exemple, si une convention collective prévoit une semaine de cinq jours et que cette convention a été conclue pour trois ans, le syndicat ne peut pas faire grève pour une semaine de quatre jours au bout d’un an. Tant que la convention collective est en vigueur, il n’y a pas de lutte. La plupart des conventions collectives peuvent toutefois être résiliées avant terme. La grève est alors à nouveau possible.

La règle de la « parité de combat » : le comité d’entreprise et le syndicat ne doivent pas frapper en même temps

Parfois, un employeur doit se battre sur deux fronts. Par exemple, lorsqu’il doit négocier un plan social avec le comité d’entreprise en raison de licenciements collectifs et avec un syndicat concernant les salariés toujours en poste. Les deux adversaires peuvent se concerter. Cela peut surcharger l’employeur. La parité de combat peut ainsi être menacée. La parité de combat signifie que deux parties de force égale doivent toujours s’affronter. Par conséquent, si un employeur est confronté en parallèle à des revendications émanant à la fois d’un syndicat et d’un comité d’entreprise, la grève peut être irrecevable. Le syndicat doit alors attendre.

La proportionnalité comme limite aux actions de grève

La grève est également interdite indépendamment des cas mentionnés précédemment si elle n’est pas proportionnée. Plus précisément, la grève doit être appropriée, nécessaire et proportionnée :

  • La grève est appropriée si elle permet de contraindre l’employeur à revenir à la table des négociations et de faire des concessions aux travailleurs. Cela devrait presque toujours être le cas. Le syndicat peut en outre l’évaluer lui-même.
  • La grève est nécessaire lorsque le syndicat estime que les négociations ont échoué. Il est facile pour le syndicat de satisfaire à cette exigence.
  • La grève est proportionnée lorsque tant les intérêts du syndicat à une grève efficace que les intérêts dignes de protection de l’employeur sont préservés et mis en balance. C’est le point critique sur lequel les employeurs et les salariés s’affrontent le plus souvent en justice et qui est le plus difficile à évaluer pour les juges.

Voici quelques exemples de situations dans lesquelles une grève n’est généralement pas proportionnée :

  • Dans le cas des grèves de sympathie ou de soutien, les travailleurs participent à des grèves alors que leur employeur ne peut pas satisfaire lui-même les revendications de la grève. Les grèves de sympathie ou de soutien sont particulièrement importantes entre les salariés de sociétés appartenant au même groupe. Elles peuvent toutefois être considérées comme proportionnées lorsque le lien entre les grévistes principaux et ceux qui sont solidaires est suffisant;
  • Violation de ce que l’on appelle l’interdiction de la démesure : : il y a une disproportion manifeste entre la grève et l’objectif de la lutte. Tel est le cas des grèves qui ont pour conséquence de ruiner l’employeur. Les grèves ne doivent donc pas être trop longues ou trop fréquentes, par exemple;
  • Les travailleurs n’effectuent pas les travaux d’entretien, ce qui conduit à détruire l’existence de l’entreprise. Les grévistes ne doivent pas aller aussi loin. En effet, le matériel ne doit pas devenir inutilisable à cause de la grève. Les produits ne doivent pas se détériorer.
  • Les salariés font la grève aussi dans les services vitaux, ce qui est problématique lorsque la grève aboutit à une paralysie quasi totale de services pourtant indispensables ou à une absence de véritable marge d’organisation pour l’employeur.
  • Les salariés des services publics n’assurent plus les tâches de nature urgente, c’est-à-dire qu’ils n’assurent pas les besoins essentiels de la population. L’obligation de travailler dans l’urgence repose sur l’obligation de service public, qui est une limite non écrite de tous les conflits du travail. S’il n’y a pas d’accord entre les parties à la convention collective sur les tâches considérées comme urgentes, c’est l’employeur qui décide. La mesure prise par l’employeur peut toutefois être contrôlée par les tribunaux, dans le cadre d’une procédure judiciaire de référé. Les travailleurs peuvent être contraints par les juges d’effectuer des travaux dits d’urgence.

Illustration de la proportionnalité avec la grève dans les hôpitaux et les transports publics

La grève dans les secteurs publics est problématique lorsque la grève aboutit à une paralysie quasi totale de services pourtant indispensable. Même pendant une grève, l’approvisionnement de la population allemande en services et biens de première nécessité doit être assuré.

Notamment dans les hôpitaux, les mouvements sociaux doivent impérativement préserver les services vitaux. Lorsque les équipes en grève ne maintiennent qu’un service minimum trop réduit, ou que le personnel manquant rend impossible la prise en charge d’interventions urgentes, les tribunaux peuvent considérer que le mouvement dépasse les limites admissibles.

Les juges allemands interviennent aussi lorsque les services de garde (Notdienste) fixés par les syndicats sont jugés insuffisants : certains tribunaux ordonnent des niveaux de service si élevés qu’ils neutralisent quasiment le droit de grève, comme dans le conflit ayant impliqué les filiales externalisées de la Charité à Berlin (ArbG Berlin, 1.4.2025 – 39 Ga 4371/25).

À l’inverse, un autre problème survient lorsque les employeurs refusent de bloquer les lits malgré la grève, poussant ainsi les salariés – soucieux de ne pas mettre en danger les patients – à continuer de travailler. Les syndicats ne peuvent toutefois pas exiger judiciairement la fermeture des lits, cette mesure étant considérée comme une ingérence excessive dans la liberté d’entreprise (LAG Mecklenburg-Vorpommern, 9.7.2024 – 4 GLa 3/24).

Dans le cas des grèves des conducteurs de train en 2021, l’employeur a argumenté devant le tribunal que la grève n’était plus proportionnelle, car il existe une obligation d’intérêt général dans le secteur des transports. La Deutsche Bahn a fait valoir que la grève causait des dommages à l’ensemble de l’économie. Mais le litige s’est terminé en faveur des salariés en première instance et en appel. Les juges ont tranché en faveur du droit de grève, bien qu’une grève ferroviaire porte également atteinte aux droits fondamentaux d’autres personnes (passagers, entreprises de logistique, etc.). Il a également été jugé que, dans le secteur du transport des passagers, l’annonce de la grève qui intervient seulement 30h avant le début de celle-ci est proportionnelle (LAG Hessen Urt. v. 12.3.2024 – 10 GLa 229/24).

Délits commis pendant une grève

Même pendant une grève, tout n’est pas permis. L’ordre juridique doit être respecté. Les travailleurs en grève ne sont certes pas obligés de travailler. Ils doivent toutefois continuer à respecter toutes les règles. La grève ne doit surtout pas enfreindre les lois pénales. Ainsi, aucun bien ne doit être endommagé.

L’interdiction de faire grève pour certaines professions

Les journalistes

D’une part, les attaques ciblées des grévistes contre la liberté d’information et d’expression (droits fondamentaux au même titre que le droit de grève) sont interdites.

D’autre part, certes, la grève peut aller jusqu’à empêcher temporairement la parution de journaux et réduire ainsi l’offre d’opinion et d’information. Toutefois elle ne doit pas compromettre durablement la couverture médiatique et la formation de l’opinion.

Les fonctionnaires

Les fonctionnaires n’ont pas le droit de faire grève, car ils n’ont pas de contrat de travail de droit privé, à la différence des salariés du secteur privé. Ils sont liés à l’État par une relation de service et de loyauté de droit public. Cette relation est régie par des règles spécifiques, à savoir le droit de la fonction publique. On devient fonctionnaire par nomination.

Les fonctionnaires sont au service de l’ensemble de la population et fournissent leurs prestations dans l’intérêt général. Grâce à eux, l’Etat assure son fonctionnement (c’est la « garantie institutionnelle« ).

Dans son arrêt du 21 avril 2009 – 68959/01 –, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) censure une interdiction globale de grève, qui toucherait l’ensemble des services publics, mais elle admet une interdiction de grève pour certains groupes de fonctionnaires.

En conséquence, l’interdiction de faire grève pour les fonctionnaires qui exercent des prérogatives étatiques est légale. Il s’agirait notamment du président fédéral, du chancelier, des ministres, des députés, des policiers, des soldats et des juges. Du point de vue de la Cour européenne des droits de l’homme, les fonctionnaires qui n’exercent pas des prérogatives étatiques peuvent faire grève.

En revanche, la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht) a confirmé l’interdiction globale de faire grève pour tous les fonctionnaires dans son arrêt du 12 juin 2018 – 2 BvR 1738/12.

Le raisonnement de la Cour constitutionnelle fédérale est le suivant. Le droit de grève (liberté d’association) découlant de l’article 9 de la Loi fondamentale (Grundgesetz, ci-après « GG ») s’applique à tous, y compris aux fonctionnaires. Le droit de grève de l’article 9 GG est donc en soi conforme au droit européen. Toutefois, l’interdiction globale de grève pour tous les fonctionnaires est justifiée par l’article 33, paragraphe 5 de la Loi fondamentale, qui établit la « garantie institutionnelle » mentionnée ci-dessus.

Les médecins, les infirmiers et le personnel soignant

Ils doivent toujours veiller à ce que les travaux d’urgence soient encore effectués. Autrement dit, qu’ils ne fassent pas tous grève en même temps et que les soins de santé ne s’effondrent pas. Dans certains cas, une obligation d’annonce préalable de la grève s’impose.

Greve légale ou illégale: exemples concrets

Modalités de la grève Grève légale ? Décision de Justice
Appel formel : Appel à la grève sur un groupe whatsapp Non
(car seul un syndicat a le droit d’appeler à la grève)
Tribunal de Berlin-Brandeburg, 2023
Revendication
La manifestation commune entre un important syndicat des transports en commun d’une ville et un groupe d’activistes pour l’environnement
Oui
(car le financement public des transports en commun est en jeu, mais elle se rapproche d’une grève politique)
Tribunal de Leipzig, 2024
Revendication
L’applicabilité d’une convention collective au-delà des seules parties à cette convention collective
Oui
(car l’extension du domaine d’applicabilité de la convention collective peut être réglée par celle-ci)
LAG Nürnberg, 2025
Revendication
Renégocier la convention collective pour imposer un effectif minimum de personnel dans les crèches
Non
(car la revendication avait déjà été discuté lors des dernières négociations de la convention collective, qui est encore en vigueur (« obligations de paix sociale »))
ArbG Berlin, 2025
La proportionnalité
Utilisation du parking privé de l’entreprise par le syndicat (Amazon)
Oui BAG 2018, BVerfG 2020
La proportionnalité
Annonce de la grève seulement 22h avant le début pour le transport de marchandises et 30h avant pour le transport de personnes
Oui LAG Hessen 2024

Les conséquences de la grève : pas d’obligation de travailler ni de payer le salaire

La grève suspend les obligations principales réciproques découlant du contrat de travail, à savoir l’obligation du salarié de travailler  et l’obligation de l’employeur de payer le salaire. Le droit au salaire est donc perdu pour la période de la grève. L’absence du salarié ne peut être sanctionnée ni par un avertissement ni par un licenciement.

Toutefois, si la grève est illégale, le travailleur reste tenu de fournir son travail. S’il ne travaille pas, l’employeur peut demander des dommages et intérêts. Une grève est illégale si toutes les conditions ne sont pas remplies, par exemple si la grève va trop loin et n’est donc pas proportionnée. Ce sont les juges qui décident si une grève est légale ou illégale, dans le cas où l’employeur ou l’employé porte plainte.

Il existe également des cas particuliers en ce qui concerne le paiement des salaires pendant la grève :

  • Une grève ondulée se caractérise par un arrêt de travail de courte durée dans des services ou des entreprises différents. Le travailleur gréviste perd son droit à l’emploi et à la rémunération non seulement pour son bref moment de grève, mais aussi pour toute la durée d’une équipe en cours, si l’employeur n’a pas pu ou n’aurait pas pu raisonnablement planifier autrement (par exemple, si la fin de l’équipe de nuit ne semble pas assurée sans interruption).
  • Le salaire des travailleurs désireux de travailler doit être maintenu pendant la grève, sauf si cela n’est pas possible ou raisonnable pour l’employeur (voir ci-dessous « Fermeture de l’entreprise ») et si le maintien de l’obligation de payer le salaire perturbe la parité de combat.

En principe, c’est certes l’employeur qui supporte le risque d’exploitation et le risque économique. Toutefois, en cas de perturbations dues à une grève, chaque partie supporte le risque de lutte qui lui incombe. Il se peut donc que l’employeur n’ait pas à payer de salaire aux travailleurs désireux de travailler dans un cas particulier.

Que peut faire l’employeur contre une grève ?

Primes aux briseurs de grève

Les briseurs de grève sont des travailleurs qui, contrairement à un appel à la grève, ne participent pas à une grève et continuent d’offrir leurs services à l’employeur. Les primes de présence qui ont été promises avant le début du conflit social ou qui sont promises pendant une grève sont autorisées. Il appartient à chaque travailleur de décider s’il souhaite accepter cette offre.

Interdiction d’utiliser le travailleur intérimaire comme briseurs de grève

Exemple : l’entreprise A loue les services d’un travailleur à l’entreprise B. L’entreprise A est maintenant en grève. Le travailleur intérimaire doit maintenant être utilisé par l’entreprise B comme briseurs de grève.

  1. Le travailleur intérimaire peut-il refuser de travailler dans l’entreprise B ?
    Il est interdit d’utiliser le travailleur intérimaire comme briseurs de grève. Si l’employeur demande au travailleur intérimaire de travailler comme briseur de grève, le travailleur intérimaire peut dire non. Le travailleur intérimaire dispose d’un droit de refus de prestation en cas de projet de mission de briseurs de grève.
  • L’utilisateur (entreprise B) doit-il quand même payer le salaire à l’agence de travail temporaire (entreprise A) ?

Pour protéger le travailleur intérimaire, il existe un droit au maintien de la rémunération. Mais qui supporte le risque de prix ? En l’absence de dispositions particulières dans le contrat de mise à disposition de travailleurs, c’est en principe l’utilisateur qui assume le risque d’employer le travailleur intérimaire, de sorte que l’utilisateur doit payer la rémunération à l’entreprise de travail temporaire.

Fermeture de l’entreprise

L’employeur n’est pas tenu de maintenir autant que possible une entreprise ou une partie d’entreprise en grève. Il peut la fermer pendant la durée de la grève, même si son maintien partiel est techniquement possible et économiquement acceptable, ceci   a pour conséquence de suspendre les droits et obligations réciproques découlant de la relation de travail et de priver également les travailleurs désireux de travailler de leur droit au salaire.

Face à un appel à la grève couvrant l’ensemble de l’entreprise, l’employeur peut également se limiter à ne pas arrêter l’ensemble de l’entreprise, mais des unités d’exploitation délimitées sur le plan organisationnel.

Le débat actuel (pour ou contre) une loi sur la grève

En 2024 et 2025, une tendance à l’augmentation des conflits collectifs de travail a eu lieu en Allemagne. Les grèves ont été particulièrement visible dans les secteurs dits « des services essentiels » et ont été de différentes formes, par exemple les grèves d’avertissement(« Warnstreiks ») dans les transports publics.  

Mais ce sont aussi, dans tous les domaines, les réactions des employeurs face à ces grèves qui se sont multipliés. Les employeurs des petites et moyennes entreprises profitent du mécontentent général face aux grèves des services publics essentiels, pour pousser vers une loi sur la grève, alors même que leurs activités ne sont pas essentielles. Pour l’anecdote, le «Textilverband» a rédigé une note pour expliquer que leur activité était essentielle, parce qu’ils fabriquent des vêtements pour les policiers, les pompiers et les médecins

La grève dans les secteurs des services essentiels (« Daseinsvorsorge ») ou l’infrastructure vitale (« kritische Infrastruktur »)

Les secteurs dits « des services essentiels », comme les transports publics (Tramway, trains, bus), les avions ou les crèches, ont été particulièrement concernés par des mouvements de grève dernièrement. En conséquence, le débat politique autour d’une loi sur la grève dans les « services essentiels » a été ravivé. Plusieurs propositions de loi ont été déposées, mais pour l’instant la majorité politique pour adopter une loi sur la grève n’est pas rassemblée.

Les grèves dans les « secteurs essentiels » touchent non seulement les employeurs, mais aussi les usagers, parfois très nombreux. Comme la grève est du droit fondamental par la Constitution fédérale allemande, les éventuelles limitations du droit de grève doivent être justifiés par d’autres droits fondamentaux, et mis en balance avec eux. Le principe de proportionnalité est central ici.

La première étape pour une règlementation de la grève serait de définir quels sont les « secteurs essentiels ». Or donner une telle définition est ardu. Ensuite, il faudrait définir quelles sont les mesures qui encadreraient de manière proportionnelle le droit de grève des salariés de ces secteurs. Par exemple, les juges ne se sont pas encore prononcés sur l’existence d’une obligation d’annonce préalable à la grève (LAG Hessen Urt. v. 12.3.2024 – 10 GLa 229/24).

Les mesures prises par les employeurs face aux grèves

Le Bundesministerium des Innern und für Heimat (BMI) a diffusé en décembre 2024 une « Arbeitskampfrichtlinie des Bundes » (circulaire/guideline) concernant le traitement des menaces de grève pour les employeurs publics fédéraux. Il invite les employeurs à :

  •  organiser en amont la répartition du travail en cas de grève,
  • définir les travaux d’urgence selon leur nature et leur ampleur,
  • informer régulièrement sur l’état des négociations avec le syndicat,
  • documenter attentivement les actions de grève…
  • informer en amont les salariés sur les conséquences de la grève sur la relation de travail.

Par ailleurs, les actions de grèves sont de plus en plus contestées devant le tribunal par les employeur s, par rapport aux revendications portés par la grève – est-ce qu’elles peuvent être satisfaites par l’employeur ? – ou bien par rapport à la proportionnalité des actions de grève. Lorsque les syndicats réfléchissent à leur stratégie pour appuyer leurs revendications quant aux conditions de travail, le risque d’une procédure judiciaire, peut les intimider à appeler à la grève, même si le juge leur donne finalement raison.

Alerte risques : multiplication des grèves en Allemagne

Les entreprises franco-allemandes doivent faire face à une hausse marquée du nombre de mouvements de grève, y compris dans des secteurs traditionnellement plus stables. Cette intensification crée un environnement social beaucoup plus volatil pour les employeurs présents en Allemagne.

La question de savoir si une grève est proportionnée ou non fait l’objet de décisions judiciaires parfois contradictoires. Certains tribunaux imposent des services minimums très élevés, limitant l’effet des mouvements, tandis que d’autres refusent d’intervenir au nom de la liberté d’organisation de l’entreprise.

Cette hétérogénéité jurisprudentielle accroît l’insécurité juridique pour les entreprises : la conformité d’un mouvement collectif peut varier selon les juridictions, les circonstances ou l’urgence du secteur concerné.

Dans ce contexte mouvant, toute entreprise active en Allemagne doit renforcer sa veille juridique, anticiper des perturbations plus fréquentes et intégrer dans sa gestion RH le risque d’une appréciation judiciaire imprévisible de la légalité des grèves.

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Voici en résumé les questions les plus courantes sur le droit de grève en Allemagne

Quelles procédures faut-il respecter pour faire grève en Allemagne ?

En Allemagne, une grève légale nécessite l’épuisement préalable des négociations, un vote des adhérents du syndicat, un préavis et doit respecter le principe de proportionnalité. Des mesures de conciliation doivent généralement être tentées avant le déclenchement de la grève.

Quand peut-on faire grève ?

La grève est en Allemagne le dernier recours lorsque les négociations entre les syndicats et les travailleurs s’enlisent et que même un conciliateur ne parvient pas à trouver de solution. La grève est un moyen d’action collective. Par la grève, les travailleurs peuvent forcer les employeurs à négocier la conclusion d’une convention collective. Pendant la durée d’une convention collective, il est obligatoire de respecter la paix sociale.

Pourquoi faire grève ?

Pour obtenir de meilleures conditions de travail, comme des salaires plus élevés, moins d’heures de travail, une meilleure répartition du temps de travail, etc. L’employeur doit revenir à la table des négociations.

Quelles sont les différences entre le droit de grève en Allemagne et en France ?

La France reconnaît un droit de grève individuel inscrit dans la Constitution, alors qu’en Allemagne, seuls les syndicats peuvent appeler à la grève. En France, la grève politique est tolérée, tandis qu’en Allemagne, elle est strictement interdite et doit uniquement concerner les conditions de travail.


Que faire en cas de grève ?

D’un côté, les salariés allemands ne sont pas obligés de participer à la grève. Ils peuvent suivre ou non l’appel à la grève. De l’autre côté, les employeurs ne sont pas tenus de payer un salaire aux grévistes. Ils n’ont pas le droit d’adresser des avertissements ou de licencier des travailleurs en raison de leur participation à la grève. Ils peuvent récompenser les briseurs de grève. Dans certains cas, des fermetures d’entreprises sont possibles. Dans ce cas, le salaire peut être supprimé même pour les travailleurs désireux de travailler.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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Photo: hkama

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