La vidéosurveillance des salariés
Mis à jour le 03.07.25

L’évolution des technologies de surveillance permet aujourd’hui à de nombreuses entreprises d’installer des systèmes de vidéosurveillance au sein des locaux professionnels. Objectif affiché : assurer la sécurité des biens et des personnes, prévenir les vols ou encore contrôler l’activité des salariés. Mais cette pratique soulève des questions sensibles, notamment en matière de protection de la vie privée, de respect des libertés individuelles et de conformité au droit du travail.
L’employeur peut-il librement filmer ses salariés sur leur lieu de travail ? Quelles sont les règles juridiques à respecter ? Quelles limites impose la loi ? Quelles sanctions en cas de vidéosurveillance abusive ?
Cet article fait le point sur le cadre légal de la vidéosuveillance des salariés, en intégrant notamment des jurisprudences récentes. Vous y trouverez des réponses concrètes, des exemples pratiques et des conseils pour sécuriser juridiquement la mise en place de dispositifs de vidéosurveillance en entreprise.
Table des matières
Les enjeux du contrôle du recours à la vidéosurveillance dans les entreprises
En raison notamment de la démocratisation du prix d’achat des caméras de surveillance et de l’augmentation du nombre de prestataires proposant ce type de service ou parfois à la demande pressante de leurs assureurs, les entreprises hésitent de moins en moins à mettre en place un dispositif de vidéosurveillance de leur activité et donc des salariés au sein de leurs locaux.
Pourtant, les débats sur l’utilisation de tels dispositifs sont nombreux. En effet, lorsque des entreprises filment le lieu de travail des salariés, le risque d’atteinte aux libertés fondamentales de ces derniers est élevé, en particulier lorsqu’il s’agit de contrôler l’activité des salariés. Même si le salarié est sur son lieu de travail, le droit au respect de la vie privée des salariés, protégé notamment par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, doit être respecté.
Toutefois, l’objectif n’est pas d’interdire aux entreprises de recourir à la vidéosurveillance, car il s’agit malgré tout d’un outil utile pour limiter les risques de vols, d’intrusions ou la dégradation des locaux, et ainsi assurer la sécurité des salariés et des biens de l’entreprise, ce dont l’employeur est garant.
C’est pourquoi, la législation française du travail n’interdit pas par principe sa mise en place, mais tente de prévenir les dérives possibles en établissant des limites strictes, dans un souci de rechercher la proportionnalité entre les intérêts en présence.
Obligations de l’employeur d’informer de la vidéosurveillance
Protection des données personnelles des salariés et du public
- Lorsque le dispositif de vidéosurveillance se trouve dans un lieu non ouvert au public (zones dédiées au personnel, lieux de stockage, etc.), aucune formalité auprès de la CNIL n’est nécessaire. Seul un registre de traitement des données sur lequel est inscrit le dispositif de vidéosurveillance doit être tenu par l’employeur ;
- Lorsque le dispositif de vidéosurveillance se trouve dans un lieu public ou ouvert au public, il convient d’obtenir une autorisation préalable du préfet de département, ou le préfet de police à Paris ;
- Lorsque le dispositif de vidéosurveillance fait l’objet d’une installation dans un lieu mixte, c’est-à-dire un lieu ouvert au public comportant des zones privées, l’entreprise est soumise à un système d’autocontrôle continu, à la désignation d’un délégué à la protection des données et à la tenue d’un registre des activités de traitement.
Recours à la vidéosurveillance soumis à la consultation des représentants des salariés
Lorsque le dispositif de vidéosurveillance est voué à contrôler les salariés, la consultation préalable du CSE (Comité social et économique) est obligatoire concernant tant le dispositif lui-même, que ses fonctionnalités.
Information officielle des salariés et du public
En raison de l’obligation de l’employeur d’exécuter loyalement le contrat de travail, les salariés doivent être informés de l’existence du dispositif de vidéosurveillance, mais également de son utilisation lorsqu’il s’agit de contrôler leur activité professionnelle.
L’employeur doit :
- prévoir un affichage dans les locaux placés sous vidéo surveillance afin d’informer les salariés et le public de l’existence du dispositif,
- indiquer les modalités concrètes d’accès aux enregistrements visuels les concernant, l’objectif de la vidéosurveillance et son fondement juridique ainsi que du nom de son responsable.
A défaut, les images obtenues par vidéosurveillance ne pourront en principe pas être utilisées comme preuve par l’employeur en cas de litige avec un salarié.
En revanche, la jurisprudence admet que l’employeur n’est pas obligé d’informer ses salariés de la mise en place de procédés de surveillance d’entrepôts et autres locaux de rangements, lorsque ces derniers n’y travaillent pas (Cass. Soc., 19 janvier 2010, n°08-45.092).
De plus, la Cour de cassation a pu admettre que les preuves sont licites lorsqu’elles sont recueillies par les systèmes de surveillance dans des locaux auxquels les salariés n’ont pas accès. Il s’agissait en l’espèce d’une caméra installée à la demande d’un client dans le but de surveiller la porte d’accès d’un local dans lequel les salariés de l’entreprise ne devaient avoir aucune activité (Cass. Soc., 19 avril 2005, n°02-46.295).
Toute surveillance secrète est donc en principe interdite.
Cadre légal de la vidéosurveillance au travail
Recours à la vidéosurveillance du salarié pour une finalité légitime
L’employeur doit en effet avoir un intérêt légitime au recours à la vidéosurveillance. Cela peut notamment être un risque particulier de vol, la surveillance d’un poste de travail présentant une certaine dangerosité ou encore la mise en place d’une protection particulière résultant d’une obligation de secret-défense. Il convient de noter que la vidéosurveillance d’un poste de travail est interdite, sauf circonstances particulières. Par exemple, pour un employé manipulant de l’argent, la caméra devra davantage filmer la caisse que le caissier. Il est aussi toléré qu’un employeur filme un entrepôt où travaillent des manutentionnaires si de nombreux biens de valeurs y sont stockés.
Cas de vidéosurveillance par l’employeur abusive par principe
Cependant, même si cet intérêt légitime existe, certaines actions de vidéosurveillance restent interdites en tout état de cause :
- Il n’est pas possible de filmer les zones de pause ou de repos des employés, ni les toilettes. S’il s’agit de surveiller des distributeurs alimentaires dans l’une de ces pièces, il s’agit de filmer uniquement les distributeurs et non pas toute la pièce.
- Il est interdit de filmer les locaux syndicaux et des représentants du personnel, ni les accès qui sont les seuls à mener à ces locaux.
- Seules certaines personnes, habilitées par l’employeur, peuvent visionner les images enregistrées dans le cadre de leurs fonctions.
- La durée de conservation des images est limitée. Cette durée varie selon l’objet du recours à la vidéosurveillance. Par exemple, en cas de vidéosurveillance poursuivant un objectif de sécurité des biens et des personnes, la conservation des images ne doit pas excéder 1 mois.
Sanctions en cas de non-respect du cadre légal de la vidéosurveillance
En cas de non-respect des règles légales liées à la vidéosurveillance, l’employeur risque des sanctions lourdes. En effet, le CSE ou un salarié peut saisir la CNIL, l’inspection du travail voire contacter les services de police ou le procureur de la république. L’employeur risque par exemple des sanctions pénales (peine de prison et amende en cas de violation de la vie privée).
En cas de saisine, la CNIL procède à une enquête sur les pratiques de l’entreprise et peut sanctionner celles qui ne respectent pas les règles, notamment sous forme d’amendes administratives ou injonction de cesser les pratiques illégales. Elle peut également envoyer une mise en demeure ce qui peut nuire à la réputation de l’employeur.
Par ailleurs, le RGPD prévoit des sanctions très lourdes sous forme d’amende à son article 88 en cas de non-respect des règles.
Enfin, les salariés peuvent bien entendu saisir le conseil de prud’hommes s’ils considèrent que des mesures disciplinaires ou un licenciement sont fondés sur des preuves obtenues de manière illégale. Le Conseil de prud’hommes doit s’assurer que les droits des salariés ont été respectés et peut potentiellement annuler une sanction si la preuve est jugée illicite. Le salarié peut obtenir des dommages et intérêts.
Utilisation d’images de vidéosurveillance pour licencier un salarié
En principe, l’employeur ne peut utiliser des images de vidéosurveillance pour prendre une sanction que s’il a respecté les règles visées ci-dessous. S’il n’a pas respecté les règles, de telles preuves sont par principe rejetées et une faute relevée grâce à un système illicite ne peut normalement faire l’objet d’une sanction.
Cependant, en cas de preuve considérée comme déloyale, la jurisprudence accepte depuis peu (Cour de cassation, 25 novembre 2020, n°17-19523) que ce type de preuve ne doit pas être automatiquement rejeté et indique que le juge peut faire la balance entre les droits de la défense de l’employeur et la vie privée du salarié pour savoir si une pièce doit être écartée ou non. Une telle preuve ne peut être utilisée que si elle est absolument indispensable à l’exercice du droit de la défense et droit de la preuve. Par ailleurs, l’atteinte portée à la vie privée doit toujours restée proportionnée au but poursuivi. Cette jurisprudence s’aligne sur la jurisprudence européenne.
Checklist pour l’employeur avant de mettre en place la vidéo surveillance
Voici une checklist à télécharger.
Exemple de vidéosurveillance autorisée sans informer les salariés
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (en abrégé : CEDH) a admis par un arrêt du 17 octobre 2019 qu’il est possible de recourir à la surveillance secrète des salariés dans certaines conditions.
Les faits
En l’espèce, le directeur d’un supermarché espagnol avait remarqué des pertes importantes en raison de disparités entre les stocks du magasin et ses ventes, pendant plus de 5 mois. Suspectant des vols, il avait alors installé deux types de caméras de vidéosurveillance :
- Des caméras visibles dirigées vers les entrées et sorties du magasin, faisant l’objet d’une information au personnel ;
- Des caméras dissimulées, orientées vers les caisses, dont aucun membre du personnel n’avait été informé.
Les images filmées par ces caméras cachées avaient révélé des vols de produits commis aux caisses par plusieurs employées. L’employeur les avaient alors licenciées. Certaines salariées avaient contesté leur licenciement au motif que les images captées par les caméras de vidéosurveillance à leur insu violaient leur droit à la vie privée.
Les juges espagnols ont confirmé les licenciements. L’affaire a ensuite été portée devant la CEDH, qui s’est prononcée une première fois le 9 janvier 2018, en concluant à la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, relatif au droit au respect de la vie privée. Toutefois, après renvoi devant la Grande chambre de la CEDH, il en a finalement été décidé autrement.
La décision de la CEDH
La CEDH valide finalement le recours à la vidéosurveillance dissimulée, dans les circonstances de l’espèce, en considérant qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 :
- Proportionnalité du dispositif :
- L’employeur avait des soupçons raisonnables de vols.
- La surveillance était limitée dans le temps (10 jours).
- La surveillance était ciblée (uniquement les caissières aux caisses).
- Les images ont uniquement été visionnées par un nombre restreint de personnes.
- Objectif légitime poursuivi :
L’intérêt de l’employeur à protéger son patrimoine et prévenir les vols est reconnu comme légitime. - Absence d’alternative moins intrusive :
Les soupçons visaient plusieurs personnes et une information préalable aurait compromis l’efficacité de l’enquête interne.
En revanche, la Cour souligne que la vidéosurveillance sans information des salariés doit rester une mesure exceptionnelle, justifiée par des circonstances particulières et qui répond aux trois critères indiqués ci-dessous.
Enseignements clés pour la vidéosurveillance au travail
Principe général :
La vidéosurveillance sur le lieu de travail porte atteinte à la vie privée des salariés et doit, en principe, être précédée d’une information préalable.
Exception admise :
Dans certains cas graves (fraude, vols…), une surveillance cachée, limitée, ciblée et temporaire peut être admissible si elle est proportionnée et strictement nécessaire.
Conformité au RGPD et au droit national :
Même si la CEDH admet cette pratique dans certains cas, le droit national et le RGPD prévoient des règles strictes en matière de traitement des données personnelles et d’information des salariés.
Importance pratique pour les employeurs français
- Cette décision est importante pour la France, où la CNIL et le droit du travail restent très protecteurs.
- En pratique, la jurisprudence française reste plus stricte :
- L’information préalable est la règle.
- Les caméras cachées sont admises uniquement dans des situations très exceptionnelles et à condition de respecter la proportionnalité.
Utilisation d’une vidéo en justice non prévue au départ pour surveiller
En principe, les images issues d’un système de vidéosurveillance au travail doivent être utilisées uniquement pour la finalité qui a justifié leur installation initiale. Ce principe de limitation des finalités est un pilier du RGPD et du droit à la vie privée. Mais qu’en est-il lorsque l’employeur souhaite utiliser ces images dans un contentieux disciplinaire, pour une finalité différente de celle déclarée au départ ? Au cas d’espèce, une société de sécurité aéroportuaire avait mis en place des caméras pour assurer la sécurité d’un aéroport. Ces caméras n’avaient pas pour objectif initial de surveiller le personnel.
Un assouplissement récent sous conditions strictes (Cass. soc., 21 mai 2025, n°22-925)
Dans cette affaire, une société de sécurité aéroportuaire avait installé des caméras de surveillance dans l’enceinte d’un aéroport, afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes. Ces caméras n’avaient pas pour but premier de contrôler l’activité des salariés.
Or, un salarié chargé de la sécurité a été filmé alors qu’il ne respectait pas les règles de contrôle des bagages cabine d’un passager. L’employeur a décidé de licencier ce salarié pour faute grave, en produisant les images issues du système de vidéosurveillance.
Le salarié a contesté son licenciement, invoquant plusieurs manquements :
- absence d’information sur cette utilisation des images (articles 6 et 13 RGPD) ;
- défaut de consultation du CSE sur l’usage du dispositif à des fins disciplinaires ;
- atteinte à ses droits de la défense faute d’accès aux images.
Les trois points examinés par la Cour de cassation :
- Devoir d’information préalable : Les salariés avaient été informés de l’existence du dispositif via un affichage visible et une autorisation préfectorale avait été obtenue.
- Consultation du CSE : Le CSE avait été informé de l’installation du système pour la sécurité aéroportuaire. La Cour a estimé que l’utilisation ponctuelle des images à des fins disciplinaires ne nécessitait pas une nouvelle consultation, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un système généralisé de contrôle des salariés.
- Respect des droits de la défense : Le salarié avait pu prendre connaissance des griefs lors de l’entretien préalable et débattre contradictoirement de la preuve devant les juges. Seul un nombre restreint de personnes avait eu accès aux images.
Une appréciation fondée sur la transparence et la proportionnalité
La Cour de cassation a validé l’utilisation des vidéos à des fins disciplinaires, considérant que :
- la finalité initiale de sécurité des biens et des personnes restait en lien avec la faute reprochée ;
- la réutilisation des images était proportionnée et transparente ;
- les droits du salarié avaient été respectés dans le déroulement de la procédure.
Cette décision montre que, dans certaines situations bien encadrées, la vidéosurveillance peut être utilisée en justice pour une finalité connexe à celle initialement prévue, à condition de respecter scrupuleusement les principes de transparence, d’information et de proportionnalité.
FAQ
L’employeur peut-il filmer ses salariés sur leur lieu de travail ?
Un employeur peut filmer ses salariés si la surveillance est justifiée et proportionnée et sous réserve de certaines formalités préalables. Cela ne doit jamais devenir permanent.
Les images de vidéosurveillance peuvent-elles être utilisées pour licencier un salarié ?
Si les images sont obtenues de manière illicite, le juge fera une mise en balance entre la vie privée des salariés et les droits de la défense de l’employeur. Il arrive donc que des images soient acceptées en tant qu’éléments de preuve à condition qu’elles soient proportionnées, justifiées et indispensables.
Quelles sont les sanctions en cas de vidéosurveillance illégale des salariés ?
En cas de non-respect, le CSE ou le salarié peut saisir la CNIL, l’inspection du travail voire contacter les services de police ou le procureur de la république. L’employeur pourra avoir une amende administrative par exemple ou risque des sanctions pénales (peine de prison et amende).
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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