La faute personnelle du dirigeant de société reste l’exception !

12.10.17  
Responsabilité et chèque
La faute personnelle du dirigeant de société reste l’exception !
Responsabilité et chèque

Rappel sur les conditions de mise en œuvre de la faute personnelle du gérant

Deux arrêts de la Cour de Cassation sont venus alimenter le 5 juillet 2017 la jurisprudence sur la faute séparable des fonctions du gérant permettant d’engager sa responsabilité personnelle.

En règle générale, les gérants de société ne voient que très rarement leur responsabilité personnelle engagée vis-à-vis des tiers. En effet la personnalité morale de la société qu’il représente permet souvent de faire écran et de protéger le gérant. Afin que le tiers puisse engager directement la responsabilité du gérant, il devra prouver que celui-ci a commis une faute séparable de ses fonctions de gérant qui est à l’origine de son préjudice. La jurisprudence précise que cette faute devra être d’une particulière gravité et incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales du gérant.

Faute du gérant pour un chèque sans provision du gérant pour couvrir un règlement ?

Le premier arrêt de la Cour de Cassation du 5 juillet 2017 opposait dans le cadre d’un contrat de livraison une société au gérant de la société cliente. Le gérant avait tiré deux chèques sur ses comptes personnels au moment de la conclusion du contrat. Ces chèques visaient à garantir le paiement de la livraison. C’est là le cœur du litige. En effet, la société cliente n’ayant pas réglé le paiement, la société de livraison a tenté de se rembourser en déposant les chèques de garantie du gérant. Une tentative qui restera vaine puisque les chèques ont été rejetés, étant donné que les comptes desquelles ces chèques étaient tirés étaient clôturés depuis déjà deux ans. Pour se faire rembourser, La société engage alors une action en responsabilité à l’encontre du gérant de la cocontractante. Elle affirme que le gérant aurait commis une faute séparable de ses fonctions en la trompant sur la solvabilité de l’entreprise qu’il représentait par la remise des chèques.

Selon des arrêts précédents rendus par la Cour de cassation, cette manœuvre est en effet considérée comme étant une faute grave incompatible avec l’exercice des fonctions du gérant. Dans cette décision toutefois, la Cour de cassation confirmant la position de la Cour d’appel, rejette la demande de dommages-intérêts de la société de livraison. Le juge argumente sa position en se fondant sur l’appréciation de la preuve de la faute. En effet, le juge considère que les éléments apportés par le fournisseur ne permettaient pas de discerner la volonté de tromper. Il ne suffisait donc pas selon elle, d’apporter la preuve que les chèques étaient liés à des comptes sans provision, mais d’apporter la preuve qu’en remettant ces chèques, le gérant avait la volonté de tromper la cocontractante , notamment en appréciant les circonstances de la remise des chèques et de leurs dépôts.

Faute du gérant pour des manœuvres liées à l’attribution de subventions ?

Dans le deuxième arrêt du 5 juillet 2017, un établissement public administratif avait octroyé une subvention à une société civile immobilière sous la condition que cette dernière se conforme par la suite à certains critères d’attributions. Comme les critères n’ont finalement pas été remplis, l’établissement demande le remboursement de cette subvention à la société. Les choses se compliquent alors au niveau du remboursement. En effet la société a entretemps changé de forme et est devenue une SARL, puis a fait l’objet d’une liquidation amiable ayant pour conséquence la dissolution de l’entreprise. L’établissement, n’ayant pas été remboursé lors de la liquidation, se retourne contre les gérants sur le fondement de la responsabilité civile du gérant.

Il reproche dans un premier temps au gérant le fait de n’avoir pas répondu aux demandes d’information de l’établissement concernant des éléments déterminants de l’attribution de la subvention en connaissance de l’inéligibilité de la société à cette subvention. Le comportement du gérant constituerait alors une volonté de tromper le cocontractant et serait dès lors une faute grave incompatible avec l’exercice des fonctions sociales.

Par ailleurs dans un deuxième temps l’établissement avance que le gérant aurait commis une faute en prenant les décisions de transformer la SCI en SARL, puis en mettant au vote la dissolution de la société. Ces décisions constitueraient une volonté d’échapper aux créanciers et permettraient d’apprécier une faute susceptible d’engager la responsabilité du gérant.
La Cour de cassation rejette ces arguments de la demanderesse contre le gérant.

Premièrement, en ce qui concerne le manquement à l’obligation de transmettre les informations, la Cour considère qu’il faut distinguer la rétention volontaire d’information par le gérant dans le but de nuire, qui sera automatiquement une faute susceptible d’engager la responsabilité du gérant, avec la simple « passivité » du gérant qui elle ne sera qu’une simple négligence et donc ne constituera pas une faute grave incompatible avec l’exercice normal des fonctions du gérant. La Cour de Cassation affirme deux choses :

  • la négligence ne constitue pas une faute qui puisse être imputée au gérant;
  • la réticence d’information ne constitue une faute que si la preuve est apportée de la volonté de nuire du gérant.

Deuxièmement, relativement à la décision de la transformation et de la dissolution par les gérants, la Cour s’appuie sur la question de la preuve. En effet, elle estime que tant que l’intention d’échapper aux poursuites des créanciers n’est pas démontrée, les décisions de transformation de la société et de la dissolution de la société ne sont pas de nature à permettre d’engager la responsabilité pour faute du gérant.

Volonté de limiter les cas de responsabilité personnelle des dirigeants

Nous avons vu dans le passé que la Cour de Cassation a permis dans un nombre croissant des cas aux tiers d’engager la responsabilité personnelle du dirigeant de société malgré le fait qu’il agit pour la société, comme en cas de défaut de couverture d’assurance ou d’action abusive en justice contre un tiers. La Cour souhaite ici manifestement rappeler que la faut détachable des fonctions doit néanmoins être encadrée dans des conditions strictes. Elle affiche ainsi une volonté de ne pas trop décourager les vocations de futurs dirigeants !

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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Photo: Andrey Popov

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