Droits à retraite dans l’Union européenne

11.07.24  
Droits à la retraite en Europe
Droits à retraite dans l’Union européenne
Droits à la retraite en Europe

La prise en compte des droits à retraite au sein de l’Union européenne (UE) est une question centrale pour les salariés qui ont travaillé dans différents États membres, ce qui est de plus en plus fréquent. Cette question est régie par le règlement (CE) n° 883/2004 et le règlement (CE) n° 987/2009, qui visent à garantir que les citoyens puissent conserver leurs droits à retraite au-delà des frontières nationales. En effet, il ne doit pas arriver qu’un salarié n’ait pas de droit à la retraite ou qu’il n’ait qu’un droit partiel à la retraite parce qu’il n’a pas cotisé assez longtemps dans ce pays de l’UE. Le droit européen veille à ce que les périodes de travail effectuées dans un pays de l’UE ne soient pas perdues en allant dans un autre pays de l’UE.

Demande de départ à la retraite et liquidation des pensions

Demande de départ à la retraite dans chaque pays et coordination

Chaque pays de l’UE reste responsable du traitement de ses demandes de départ à la retraite et du calcul du montant de la pension en rapport avec les périodes cotisées. En d’autres termes, si un salarié a travaillé en France, en Allemagne et en Espagne, ces trois pays seront responsables d’une partie de sa pension. L’Espagne étant le dernier pays d’activité, elle est toutefois chargée d’identifier et de coordonner les droits à retraite auprès des autorités des autres États membres concernés.

Coordination entre les pays de l’UE grâce à l’EESSI depuis 2024

La prise en compte des droits à retraite au sein de l’Union européenne (UE) ainsi qu’en Islande, au Liechtenstein, en Norvège, au Royaume-Uni et en Suisse est possible grâce à la technologie qui permet un échange de données entre les pays. Cette procédure s’appelle l’échange électronique d’informations de sécurité sociale (EESSI). Depuis mai 2024, l’échange électronique fonctionne pleinement dans tous les pays. Il permet de prendre en compte rapidement et facilement pour toute l’UE les périodes d’affiliation à l’assurance retraite et d’emploi dans les différents pays et de verser les pensions correspondantes.

Les dates clés : de l’idée jusqu’à la mise en place de l’EESSI

1971

L’UE sous sa forme actuelle n’existait pas encore. En revanche, son prédécesseur, la Communauté économique européenne (CEE), l’était. Les pays voulaient créer un marché commun. Les salariés et les libéraux devaient pouvoir choisir librement leur lieu de travail.

Dans le domaine de la sécurité sociale, la CEE a donc voulu très tôt une coordination des règles dans les différents pays et l’égalité de traitement des salariés et des libéraux. En matière de sécurité sociale, les personnes ne devaient pas être pénalisées par le fait qu’elles travaillent dans plusieurs pays, par exemple. Il fallait notamment s’assurer qu’une pension ne soit pas réduite parce que le retraité réside dans un autre pays que celui où se trouve son assurance retraite.

Les pays de la CEE ont donc adopté le règlement (CEE) 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux salariés et aux travailleurs indépendants.

Les élargissements de l’UE

Au cours des quelque trente années qui ont suivi, de plus en plus de pays ont rejoint la Communauté. La CEE est devenue la Communauté européenne (CE) en 1993. Plusieurs arrêts de la Cour de justice ont été rendus concernant l’égalité en matière de droit social. Ces arrêts ont été mis en œuvre en plus des autres règles entre et au sein des pays. La coordination des droits à la retraite était devenue compliquée. En outre, l’échange d’informations entre les pays sur les données relatives aux retraites prenait du temps. Il se faisait principalement par courrier sous format papier.

2004

Les pays ont voulu regrouper les principes essentiels et simplifier l’échange d’informations. Ils ont remplacé le règlement de 1971 par le règlement CE 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Ce règlement clarifie notamment les points suivants : Un pays, lorsqu’il décide si une personne remplit certaines conditions en matière de périodes d’affiliation à l’assurance ou d’emploi, doit tenir compte des périodes cotisées par cette personne sous la législation d’un autre pays.

Le règlement contient également des dispositions spécifiques pour les travailleurs frontaliers retraités.

En outre, les pays se sont engagés dès 2004 à développer des services de traitement électronique des données.

2009

Avec le règlement CE 987/2009, les pays s’accordent sur des mesures et des procédures concrètes pour la mise en œuvre de la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Ils prévoient que l’échange de données entre les pays doit se faire par voie électronique.

Parallèlement, la même année, la CE devient l’UE.

C’est ainsi que l’EESSI a finalement vu le jour en tant que projet de l’UE.

2024

En mai 2024, le processus d’échange électronique est finalement abouti.

Prise en compte de droits à retraite dans au sein de l’UE : 2 exemples

Cas n°1 : Prise en compte des années travaillées dans un autre Etat membre de l’UE

Une salariée a travaillé dans un autre Etat membre de l’UE pendant 4 ans. Cette période doit être pris en compte dans son pays de sécurité social pour le calcul de la période total de cotisation à l’assurance de retraite.

Dans une décision en date du 3 mars 2011 (C-440/09), la Cour européenne de justice s’est prononcée sur ce principe.

Une femme avait accompli en Pologne des périodes contributives de 181 mois, des périodes non cotisées d’une durée de 77 mois ainsi que des périodes d’emploi au sein de l’exploitation agricole de ses parents d’une durée de 56 mois. Enfin, elle avait accompli sur le territoire de l’ex-République socialiste tchécoslovaque des périodes de cotisations d’une durée totale de 49 mois. Selon la législation polonaise, toutes ces périodes de cotisations peuvent être prises en compte. Cependant, les périodes non cotisées à la retraite ne sont retenues que dans la limite du tiers des périodes de cotisations attestées. La durée minimale de cotisations pour ouvrir droit à une pension de retraite était de 30 ans, soit 360 mois, pour la demanderesse.

La caisse de retraite polonaise a estimé que les périodes de cotisations à la retraite accomplies dans un autre Etat membre ne devaient pas être prises en compte lorsqu’il s’agit de la limitation des périodes non cotisées à un tiers des périodes cotisées.

Par conséquent, la totalité des périodes non cotisées à la caisse de retraite de 77 mois de la demanderesse a été écartée du calcul pour le calcul de la durée minimale de cotisations ouvrant droit à une pension de retraite. La caisse de retraite polonaise a estimé que les 77 mois sont à mettre en relation avec la somme de 181 et 56 mois, ce qui dépasserait la limite du tiers. La demande de retraite de la demanderesse a donc été refusée puisque la durée minimale de 360 mois n’était pas atteinte.

Dans l’essentiel, la Cour de cassation polonaise a posé la question suivante : Est-ce que les périodes non cotisées accomplies en Pologne doivent être prises en compte si elles ne dépassent pas un tiers des périodes de cotisations accomplies en Pologne et à l’étranger ?

La CJCE a décidé que toutes les périodes de cotisations à la retraite accomplies devaient être prises en compte. Par conséquent, les périodes de cotisations accomplies dans tous les autres Etats membres doivent être assimilées aux périodes accomplies dans le pays d’origine.

La non-prise en compte de la période de cotisation dans la région d l’ancienne République Tchèque conduisait à ce que les périodes non cotisées des travailleurs migrants soient moins bien prises en compte que pour les personnes qui ont accomplies des durées équivalentes de cotisations uniquement en Pologne.

La CJCE confirme que le principe en droit européen d’égalité de traitement entre les travailleurs salariés ayant exclusivement travaillé dans un même pays et ceux ayant travaillé également à l’étranger est un principe essentiel qui doit trouver notamment application lors du calcul de la durée minimale pour l’acquisition d’un droit à une pension de retraite. Ainsi les périodes de cotisations accomplies à l’étranger doivent par principe toujours être prises en compte.

Le gouvernement polonais avait d’ailleurs invoqué des difficultés administratives pour justifier la non prise en compte des périodes de cotisations à la retraite effectuées dans d’autres Etats membres. La CJCE a répondu que l’exercice du droit de libre circulation des travailleurs n’admet pas d’autres limitations que celles pouvant être justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique. Par conséquent, des difficultés administratives ne peuvent pas justifier une atteinte à la liberté de circulation des travailleurs. Grâce à l’outil EESSI le motif des difficultés administratives est sans objet.

Au même titre, les cotisation et calcul basé les règles du droit social français sont à prendre en compte sont à prendre en compte par la caisse des retraites en Allemagne.

Cas n°2 : Prise en compte des périodes d’éducation des enfants dans un autre pays de l’UE pour la retraite

En 2012 déjà, la CJUE avait décidé qu’un organisme allemand d’assurance retraite devait prendre en compte les périodes d’éducation des enfants à l’étranger pour une retraitée qui avait cotisé à l’assurance retraite allemande juste avant d’élever ses enfants, qui vivait temporairement à l’étranger pour des raisons purement familiales et qui avait interrompu son activité professionnelle en Allemagne pour cette période (CJUE, arrêt du 19. 7. 2012 – C-522/10). Du point de vue de la Cour, il existait un lien entre les périodes pendant lesquelles la retraitée avait cotisé en tant que salariée en Allemagne et la période d’éducation des enfants à l’étranger.

C’est dans ce contexte que la CJCE s’est penchée, dans une décision du 22.2.2024 (C 283/21), sur un litige entre un organisme allemand d’assurance des retraites et une retraitée allemande concernant la reconnaissance des périodes d’éducation des enfants qu’elle avait accomplies aux Pays-Bas. La situation de vie était toutefois quelque peu différente de celle de l’affaire jugée en 2012.

La retraitée était née en Allemagne en 1958. Elle a vécu la majeure partie de sa vie aux Pays-Bas, depuis l’âge de 4 ans jusqu’à l’âge de 52 ans, âge auquel elle est retournée en Allemagne.
La retraitée a suivi sa scolarité et sa formation professionnelle en Allemagne. Après avoir terminé ses études, elle n’a pas immédiatement travaillé, mais a d’abord eu deux enfants. Elle s’est ensuite consacrée pendant plus de 12 ans à l’éducation de ses enfants aux Pays-Bas, sans exercer d’activité professionnelle. Elle a ensuite travaillé en Allemagne.

À partir de 2018, elle a perçu une pension pour incapacité totale de travail en Allemagne, mais la période de plus de 12 ans pendant laquelle elle n’a pas contribué à l’assurance retraite en Allemagne, mais a élevé des enfants aux Pays-Bas, n’a pas été prise en compte dans le calcul de la pension en Allemagne.
La retraitée a demandé que cette période d’éducation des enfants soit prise en compte.
L’organisme allemand d’assurance retraite a refusé. Les arguments de l’assurance retraite étaient les suivants :

  • Les enfants n’ont pas été élevés en Allemagne.
  • Aucune période de cotisation n’a été accomplie en Allemagne pendant la période d’éducation des enfants ou juste avant.
  • Au moment de la naissance des enfants, la retraitée n’exerçait pas d’activité professionnelle en Allemagne.

La retraitée a porté plainte contre l’assurance retraite. En première instance, son action a été rejetée. La retraitée a fait appel. Le tribunal social régional de la région Nordrhein-Westphalen s’est adressé au CJCE et a posé la question suivante :

L’organisme d’assurance des retraites allemand doit-il prendre en compte les périodes d’éducation des enfants aux Pays-Bas sur la base qu’il existe un lien suffisant entre les périodes d’éducation des enfants et les périodes accomplies dans le cadre du régime d’assurance des retraites allemand, bien que la retraitée n’ait pas cotisé en Allemagne immédiatement avant la période d’éducation des enfants ?

La CJCE a répondu par l’affirmative. Elle a fait valoir que les périodes de formation ont eu lieu en Allemagne avant la période d’éducation des enfants et que la retraitée a travaillé en Allemagne après avoir élevé ses enfants. Pour la CJCE, le fait que la retraitée ait cotisé, ou non, à l’assurance des retraites dans l’État débiteur (en l’occurrence l’Allemagne) immédiatement avant et après la période d’éducation des enfants ne joue aucun rôle.

La question de savoir si et comment les périodes d’éducation des enfants peuvent être prises en compte en cas de résidence et de travail transfrontaliers dépend toujours du cas par cas, et notamment de la question de savoir si l’éducation des enfants est assimilée à une activité professionnelle selon le droit des pays concernés, comme c’est le cas en droit allemand et en droit français.

Conclusion

En adoptant des règlements sur la prise en compte des droits à la retraite, l’UE a fait un pas important pour garantir les pensions de retraite des salariés mobiles. Les salariés qui ont travaillé dans plusieurs États membres devraient être bien informés de leurs droits et des modalités de demande afin de recevoir les prestations auxquelles ils ont droit à la retraite. On voit cependant, à travers les exemples de procédures judiciaires, qu’il y a toujours un manque de clarté.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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