La faute grave de l’agent commercial découverte après la résiliation du contrat : Nouvelle jurisprudence 2022-2025

Mis à jour le 30.10.25
Découverte de la concurrence déloyale d'un agent commercial après la fin de son contrat - Conséquences sur l'indemnité de rupture selon la jurisprudence 2022-2025
La faute grave de l’agent commercial découverte après la résiliation du contrat : Nouvelle jurisprudence 2022-2025
Découverte de la concurrence déloyale d'un agent commercial après la fin de son contrat - Conséquences sur l'indemnité de rupture selon la jurisprudence 2022-2025

L’essentiel à retenir

  • Question juridique : Une faute grave découverte après la résiliation du contrat peut-elle priver l’agent commercial de son indemnité compensatrice ?
  • Réponse de la jurisprudence actuelle (2022-2025) : NON. Depuis le revirement de jurisprudence de novembre 2022, la faute grave doit être connue ET expressément invoquée dans la lettre de résiliation pour priver l’agent de son indemnité.
  • Impact pratique : Protection renforcée des agents commerciaux et exigence accrue de vigilance pour les mandants lors de la rédaction des lettres de résiliation.
  • Textes applicables : – Articles L134-12 et L134-13 du Code de commerce – Directive européenne 86/653/CEE du 18 décembre 1986 – Cass. Com., 16 novembre 2022, n° 21-17.423 – Cass. Com., 4 décembre 2024, n° 23-19.820

Introduction : Un contentieux aux enjeux financiers majeurs

L’indemnité de rupture que l’agent commercial espère obtenir à la fin de son contrat d’agence commerciale fait l’objet d’un contentieux important. Les montants en jeu sont souvent élevés en droit français de l’agence commerciale, pouvant atteindre deux années de commissions brutes, et chacun campe naturellement sur ses positions.

L’entreprise tente fréquemment d’échapper au paiement de l’indemnité de rupture en invoquant une faute grave de l’agent commercial. Cette stratégie trouve son fondement dans l’article L134-13 du Code de commerce : la faute grave prive l’agent de son droit à indemnité.

Mais une question épineuse se pose : qu’en est-il si l’entreprise découvre la faute de l’agent commercial après avoir déjà résilié le contrat ? Peut-elle encore échapper au paiement grâce à cette découverte ?

Dans un arrêt majeur du 16 novembre 2022, confirmé par une décision plus récente du 4 décembre 2024, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence qui change radicalement la donne.

Un cas d’école : L’affaire Acopal c. Terdis (2022)

Les faits

Les circonstances à l’origine de l’arrêt de 2022 sont banales mais édifiantes. Depuis 2008, la société Acopal exerçait l’activité d’agent commercial pour le compte de la société Terdis. Leur relation a été formalisée par la conclusion d’un contrat d’agence commerciale en 2013.

Le contrat a été résilié le 4 mars 2016, à l’initiative de la société Acopal elle-même. Cette dernière a ensuite assigné la société Terdis en paiement des indemnités de rupture et de préavis, auxquelles l’agent commercial a en principe droit en vertu de l’article L134-12 du Code de commerce.

La découverte post-résiliation

Postérieurement à la rupture du contrat, la société Terdis a découvert que son agent commercial, la société Acopal, avait durant l’exécution du contrat commis un manquement grave : exercer une activité d’agent commercial également pour la société Georgelin, concurrente directe de la société Terdis.

Or, le contrat d’agence commerciale stipulait expressément que la société Acopal ne pouvait accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l’objet du contrat. L’agent commercial avait donc violé la clause de non-concurrence.

La position initiale de la Cour d’appel

En application de l’article L134-13 du Code de commerce, la Cour d’appel de Versailles a rejeté la demande d’indemnité compensatrice de rupture de la société Acopal. Elle a retenu que :

  1. L’agent avait commis une faute grave en acceptant la représentation de produits concurrents
  2. Il importait peu que ce manquement ait été découvert postérieurement à la rupture du contrat

Cette solution était conforme à la jurisprudence établie de la Cour de cassation à cette époque.

L’incompatibilité avec le droit européen

L’argumentation de l’agent commercial

Contestant cette décision, la société Acopal s’est pourvue en cassation en invoquant une contradiction avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Les articles L134-12 et L134-13 du Code de commerce sont issus de la directive européenne du 18 décembre 1986 : ils doivent donc être interprétés à la lumière de celle-ci et de son interprétation par la CJUE.

La jurisprudence Volvo Car Germany (2010)

Dans son arrêt de référence Volvo Car Germany GmbH du 28 octobre 2010 (C-203/09), la CJUE a posé trois principes fondamentaux :

  1. Causalité directe exigée : Le législateur européen « entendait exiger l’existence d’une causalité directe entre le manquement imputable à l’agent commercial et la décision du commettant de mettre fin au contrat afin de pouvoir priver l’agent commercial de l’indemnité »
  2. Interprétation stricte : « En tant qu’exception au droit à indemnité de l’agent, l’article 18, sous a), de la directive est d’interprétation stricte […] cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l’indemnité non expressément prévue »
  3. Impossibilité de rétroactivité : « Lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l’agent commercial qu’après la fin du contrat, il n’est plus possible d’appliquer le mécanisme [permettant de priver l’agent de son droit à indemnité] »

L’exigence de lien causal

La CJUE exige donc qu’une faute grave, pour priver l’agent de son indemnité, ait : – Été connue du mandant avant la résiliation – Été la cause directe de la décision de résiliation – Été expressément invoquée dans la notification de rupture

Or, dans l’affaire Acopal, la faute découverte après coup excluait toute causalité directe entre la faute grave et la rupture du contrat.

Le revirement de jurisprudence de novembre 2022

Une décision pédagogique de la Cour de cassation

Les motivations de la Cour de cassation ont le mérite d’être claires et pédagogiques. Dans leur arrêt du 16 novembre 2022, les hauts magistrats :

  1. Rappellent l’ancienne jurisprudence : La chambre commerciale jugeait régulièrement que les manquements graves commis par l’agent commercial pendant l’exécution du contrat, y compris ceux découverts postérieurement à la rupture, privaient l’agent de son droit à indemnité. Par exemple, la baisse du chiffre d’affaires peut constituer une faute grave
  2. Adoptent la position européenne : Ils reprennent à leur compte les arguments basés sur l’arrêt Volvo Car Germany GmbH
  3. Modifient la jurisprudence : Ils expliquent qu’il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence française pour la mettre en conformité avec le droit européen

Le nouveau principe

Désormais, l’agent commercial qui a commis un manquement grave antérieurement à la rupture du contrat : – Dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation – Qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant – De sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture

Ne peut être privé de son droit à indemnité

Justification de la solution

Cette solution peut surprendre en apparence, car elle semble donner un « blanc-seing » à l’agent commercial pour violer ses obligations contractuelles selon la règle du « pas vu, pas pris ».

Cependant, elle est logique : la motivation de l’entreprise pour résilier le contrat n’avait rien à voir avec une quelconque faute de l’agent commercial, puisque celle-ci était inconnue à ce moment-là. Il n’y a pas de lien de causalité.

Par ailleurs, l’agent commercial est souvent la partie faible au contrat, disposant d’une manne financière réduite par rapport à celle de son mandant. Il peut donc paraître légitime de le « surprotéger » s’agissant de son droit à indemnité, qui est d’ordre public.

Confirmation par la jurisprudence 2024-2025

L’arrêt de décembre 2024

Dans une décision du 4 décembre 2024 (Cass. Com., n° 23-19.820), la Cour de cassation a confirmé et précisé sa jurisprudence de 2022.

Les faits

Après la résiliation d’un contrat d’agence commerciale par le mandant, une cour d’appel prive l’agent de son indemnité de rupture pour faute grave aux motifs que celui-ci : – A calculé ses commissions selon des modalités non conformes au contrat – A commis des fautes et erreurs lors de deux chantiers – A suscité le mécontentement de clients

Cassation de la décision

La Cour de cassation censure cette décision en rappelant que deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  1. La faute doit être expressément mentionnée dans la lettre de résiliation
  2. Chaque manquement invoqué doit être, en lui-même, constitutif d’une faute grave

Les exigences strictes

La décision de 2024 apporte des précisions importantes :

  • Insuffisant : Invoquer uniquement « la répétition de fautes » sans démontrer que chaque faute prise isolément constitue une faute grave
  • Nécessaire : – Identifier clairement chaque manquement grave dans la lettre de rupture – Caractériser, pour chacun d’eux, les raisons pour lesquelles il constitue en soi une faute grave – Établir la preuve que ces fautes étaient connues au moment de la résiliation

Conséquences pratiques pour les entreprises qui mandatent un agent

Vigilance lors de la rédaction de la lettre de résiliation

Les mandants doivent désormais faire preuve d’une rigueur absolue lors de la rédaction de la lettre de résiliation. Ils doivent :

  1. Identifier exhaustivement les fautes graves : Lister toutes les fautes graves connues au moment de la résiliation – Ne pas se contenter d’une liste générique de griefs – Caractériser précisément chaque manquement
  2. Qualifier juridiquement chaque faute : Expliquer en quoi chaque faute constitue en elle-même une faute grave – Démontrer l’atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun – Établir que le maintien du lien contractuel est devenu impossible
  3. Conserver les preuves : Documenter chaque manquement – Dater précisément la découverte de chaque faute – Archiver les éléments de preuve

Impossible invocation de la faut a posteriori

Attention : Le mandant qui aura rompu le contrat de l’agent sans invoquer de faute grave ne pourra plus invoquer ultérieurement une faute grave de l’agent commercial, même si celle-ci est avérée et même si elle a été commise pendant le préavis.

Diligence et réactivité

Les entreprises doivent mettre en place des processus de surveillance permettant de détecter rapidement d’éventuels manquements graves de leurs agents commerciaux avant toute décision de résiliation.

Les conséquences pour les agents commerciaux

Protection renforcée du droit à indemnité

Cette jurisprudence renforce considérablement la position des agents commerciaux :

  • Sécurité juridique : L’agent sait qu’une faute non invoquée lors de la résiliation ne pourra plus être utilisée contre lui
  • Droit à l’indemnité préservé : Même en cas de faute grave commise avant la rupture, si elle est découverte après, l’indemnité reste due
  • Charge de la preuve : C’est au mandant de prouver que la faute était connue et invoquée lors de la résiliation

Limites de la protection

Cette protection a néanmoins des limites :

  1. Fautes connues : Si la faute était connue du mandant et expressément invoquée dans la lettre de résiliation, l’agent perd son droit à indemnité
  2. Tolérance antérieure : Les faits retenus comme constitutifs de la faute grave ne peuvent être valablement retenus lorsque le mandant en a eu connaissance et les a tolérés jusqu’à la rupture
  3. Obligation de loyauté : L’agent reste tenu de respecter ses obligations contractuelles et son devoir de loyauté pendant toute la durée du contrat

Questions fréquentes (FAQ)

1. Qu’est-ce qu’une faute grave de l’agent commercial ?

La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel (Cass. Com., 29 juin 2022, n° 20-13.228).
Exemples de fautes graves : – Violation de la clause de non-concurrence – Absence de diligences entraînant une baisse importante du chiffre d’affaires – Comportement déloyal envers le mandant – Dissimulation d’activités parallèles – Manquements répétés portant atteinte à l’image du mandant

2. L’indemnité de rupture est-elle toujours due ?

Non. L’indemnité n’est pas due dans les cas suivants (article L134-13) : – Faute grave de l’agent (connue et invoquée lors de la résiliation) – Initiative de l’agent (sauf circonstances imputables au mandant, âge, maladie) – Cession du contrat à un tiers avec accord du mandant.
En dehors de ces exceptions, l’indemnité est due et d’ordre public.

3. Que faire si mon mandant découvre une faute après la résiliation ?

Si vous êtes l’agent commercial :
– Vérifiez que la faute n’était pas mentionnée dans la lettre de résiliation – Réclamez votre indemnité dans le délai d’un an à compter de la cessation du contrat – Conservez tous les documents (lettre de résiliation, contrat, correspondances) – Consultez un avocat spécialisé en droit commercial
Si vous êtes le mandant :
– Acceptez que l’indemnité est due conformément à la jurisprudence – Ne tentez pas d’invoquer rétroactivement une faute découverte après coup – Tirez les enseignements pour vos futurs contrats.

4. Quel est le délai pour réclamer l’indemnité de rupture ?

L’agent commercial dispose d’un délai d’un an à compter de la cessation effective du contrat pour notifier au mandant qu’il entend faire valoir ses droits (article L134-12, alinéa 2).
Attention : Ce délai est un délai de forclusion. Passé ce délai, l’agent perd définitivement son droit à indemnité.

5. Quel est le montant de l’indemnité de rupture ?

Par usage constant, l’indemnité est généralement équivalente à deux années de commissions brutes (moyenne des trois dernières années).
Ce montant peut être ajusté en fonction : – De la durée du contrat – De l’existence d’une clause de non-concurrence post-contractuelle – Des circonstances particulières (phase ascendante de l’activité, etc.)
Le calcul doit prendre en compte toutes les commissions de nature diverse perçues par l’agent.

6. La jurisprudence de 2022 s’applique-t-elle aux contrats en cours ?

Oui. Cette jurisprudence s’applique immédiatement à tous les litiges en cours et aux résiliations intervenant après novembre 2022, quelle que soit la date de conclusion du contrat.

Tableau comparatif : Avant et après 2022

CritèreAvant novembre 2022Depuis novembre 2022
Faute découverte après résiliationPouvait priver l’agent de l’indemnitéNe prive PAS l’agent de l’indemnité
Mention dans la lettre de résiliationPas nécessairement exigéeObligatoire et expresse
Lien de causalitéAppréciation soupleExigence de causalité directe
Charge de la preuveSur l’agent (contester)Sur le mandant (démontrer)
Conformité au droit UENon conforme (CJUE 2010)Conforme à la directive 86/653
Protection de l’agentLimitéeRenforcée

Conclusion : Un alignement sur le droit européen bienvenu

Le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation en novembre 2022, confirmé et précisé en décembre 2024, marque un tournant majeur dans le droit de l’agence commerciale.

Un alignement nécessaire mais tardif

D’un point de vue strictement juridique, on peut s’étonner qu’il ait fallu douze ans (de 2010 à 2022) à la Cour de cassation pour mettre sa jurisprudence en conformité avec la position de la CJUE. Entre 2010 et 2022, de nombreuses décisions ont été rendues en violation du droit de l’Union européenne, privant injustement des agents commerciaux de leur indemnité.

Un équilibre entre protection et loyauté

Cette solution réalise un équilibre entre : – La protection de la partie faible (l’agent commercial) – L’exigence de loyauté contractuelle (obligation pour le mandant d’invoquer clairement les fautes) – Le respect du droit européen (interprétation stricte des exceptions au droit à indemnité)

Recommandations pratiques

  • Pour les mandants : – Surveillez attentivement l’exécution du contrat par votre agent – Rédigez des lettres de résiliation précises et documentées – Invoquez expressément et exhaustivement toute faute grave connue – Conservez les preuves de la date de découverte des manquements ;
  • Pour les agents commerciaux : – Respectez scrupuleusement vos obligations contractuelles – Documentez votre activité et vos résultats – En cas de résiliation, vérifiez le contenu de la lettre de résiliation – Réclamez votre indemnité dans le délai d’un an.

Cas traité par notre cabinet : 90.000 euros sont obtenus malgré des fautes

En janvier 2025, un agent commercial nous a contactés. Cet agent commercial travaillait depuis 6 ans pour une société allemande spécialisée dans les équipements médicaux. Son mandant venait rompre son contrat au 31 décembre 2024 pour réorganisation commerciale. Les commissions annuelles s’élevaient à 45.000 euros.

Notre client avait commis des fautes. Il avait négligé cette carte au profit d’autres entreprises et n’avait plus fait de tournées chez les clients depuis trop longtemps. Il craignait de perdre son indemnité compensatrice.

Après avoir résilié le contrat d’agence commerciale, l’entreprise allemande avait écrit par lettre recommandée qu’elle ne verserait aucune indemnité à cause des fautes relevées contre lui.

Nous avons immédiatement analysé la lettre de résiliation. Celle-ci mentionnait uniquement des raisons économiques et une restructuration du réseau commercial en France. Aucune faute grave n’était évoquée.

Nous avons expliqué à notre client que selon l’arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 2022, une faute grave non mentionnée expressément dans la lettre était neutre pour lui.

En mars 2025, nous avons mis en demeure par courrier d’avocat en allemand à partir de notre adresse allemande le mandant de payer l’indemnité compensatrice de 90 000 euros, soit deux années de commissions. L’entreprise allemande n’a pas pu valablement opposer les fautes de notre client et, mise sous pression par notre courrier avec menace de poursuites judiciaires, a réglé l’indemnité compensatrice en avril 2025.

Notre client a pu récupérer 90 000 euros au lieu de céder à la culpabilité face aux reproches de l’entreprise allemande, comme il avait été tenté de le faire.

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Françoise Berton, avocat en droit allemand

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