Une mise en demeure interrompt-elle la prescription ?
Publié le 14.06.23

Souvent, les créanciers impayés envoient plusieurs mises en demeure d’exécuter l’obligation en pensant que leur activisme va les « sauver » de la prescription qui efface leur créance. Mais cela suffit-il ? Voyons l’impact juridique d’une mise en demeure sur l’interruption de prescription à partir d’une décision de justice du 18 mai 2022.
Principes de la prescription
En droit, la prescription correspond au délai à l’expiration duquel un créancier ne peut plus faire valoir son droit. En matière civile par exemple, la prescription de droit commun – c’est-à-dire sauf cas particulier prévu par la loi – est de cinq ans.
Imaginons une personne disposant d’une créance d’argent de 1 000 euros à l’encontre d’une autre depuis le 1er août 2022 : si elle n’est toujours pas payée, elle pourra saisir le tribunal jusqu’au 1er août 2027. Cependant, à compter du 2 août 2027, si rien ne s’est passé et le créancier n’a pas agi pour protéger son droit, son droit sera prescrit : elle ne pourra plus saisir le tribunal et ne pourra plus se faire rembourser ses 1 000 euros. La prescription sanctionne donc l’inaction du titulaire d’un droit.
Toutefois, un délai de prescription s’écoule rarement de manière linéaire. Des événements peuvent suspendre son cours (suspension) voire effacer le temps écoulé et refaire partir le délai de zéro (interruption) :
- La suspension de la prescription : arrêt du cours du délai suite à la survenance d’un événement déterminé et pendant la durée de celui-ci :
Lorsque l’événement en question prend fin, le délai de prescription reprend son cours là où il s’était arrêté. Par exemple, la prescription est suspendue lorsque les parties à un litige décident de recourir à la médiation ou lorsqu’une mesure d’expertise est ordonnée avant tout procès : durant la médiation ou l’expertise, le délai ne court pas.
- L’interruption de la prescription : le temps écoulé est effacé et le délai repart de zéro. C’est par exemple le cas lorsque le débiteur reconnait le droit du créancier (ex : reconnaissance de dette) ou lorsque le créancier effectue une demande en justice, même en référé, et même si la juridiction saisie est incompétente ou si l’acte de saisine est annulé pour vice de procédure.
Dettes impayées depuis plus de cinq ans
Les faits à l’origine de l’arrêt du 18 mai 2022 de la chambre commerciale de la Cour de cassation sont très classiques. Dans le cadre son activité professionnelle, un médecin a contracté un contrat de prêt d’un matériel médical mais a cessé de payer ses loyers après un an et demi. Le créancier a assigné le médecin en paiement des loyers impayés.
Comme moyen de défense, le médecin a soulevé la prescription des loyers échus plus de cinq ans avant l’assignation du créancier. En effet, le délai de prescription ici applicable est celui de droit commun, soit cinq ans.
Cependant, ni les juges de première instance, ni les conseillers d’appel n’ont fait droit à l’argumentation du médecin et l’ont par conséquent condamné à payer les loyers impayés, y compris ceux échus depuis plus de cinq ans. Selon la Cour d’appel, le débiteur avait été destinataire de deux mises en demeure de payer deux fois avant l’assignation, la prescription avait été interrompue par ces mises en demeure et le débiteur ne pouvait donc pas s’en prévaloir.
Le médecin s’est alors pourvu en cassation.
La mise en demeure non interruptive de prescription
Dans son pourvoi, le médecin reprochait à la Cour d’appel d’avoir rejeté son argument tenant à la prescription des loyers échus depuis plus de cinq ans, alors qu’une mise en demeure n’interrompt pas la prescription. La Cour de cassation a accueilli cette argumentation.
Dans leur arrêt du 18 mai 2022, les hauts-magistrats se fondent sur les articles 2224, 2240, 2241 et 2444 du code civil. Ils rappellent tout d’abord que le premier de ces textes prévoit que le délai de prescription est de cinq ans et qu’en application des trois autres, cette prescription ne peut être interrompue que par :
- la reconnaissance par le débiteur ;
- une demande en justice, même en référé ;
- une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ;
- un acte d’exécution forcée.
Or, cette énumération des cas d’interruption de la prescription est limitative. En d’autres termes, les juges ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour apprécier si un autre acte non énuméré par la loi pourrait également interrompre la prescription : seules les causes prévues expressément par le code civil peuvent être retenues.
Dès lors, la Cour de cassation rappelle à juste titre qu’une mise en demeure, qu’elle soit ou non envoyée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, n’interrompt pas le délai de prescription de l’action en paiement des loyers. Dans ce contexte, la mise en demeure n’a d’intérêt que pour le point de départ des pénalités de retard.
Les règles sur l’interruption de prescription non applicables à la suspension de prescription
L’arrêt du 18 mai 2022 concerne uniquement l’interruption de la prescription, et non sa suspension. Ainsi, si une phase amiable est sans effet sur l’interruption de la prescription, il n’en va pas de même s’agissant de la suspension. En effet, la loi prévoit que « la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation ». Les mises en garde relatives à l’inutilité de la négociation amiable peuvent donc être nuancées : certes, un demandeur n’obtiendra pas l’interruption de la prescription par cette voie, mais il pourra, en cas de conciliation ou médiation, en obtenir la suspension.
Le créancier poussé à saisir plus vite la justice ?
Certes, dans le cas du médecin et de son bailleur, ce dernier a été plutôt négligent en se contenant en cinq ans de simples mises en demeure. Mais il arrive souvent que derrière cette apparente négligence se cache une tentative de régler la situation sans passer par les tribunaux, avec par exemple des pourparlers.
S’il n’est pas contestable juridiquement, l’arrêt de la Cour de cassation risque cependant d’inciter les parties et leurs avocats, à se tourner rapidement vers la justice sans prêter beaucoup d’attention à la négociation amiable. Il est en effet probable que les parties et leurs avocats, face au rappel de l’inutilité d’une mise en demeure concernant la prescription, préfèrent sécuriser leur droit le plus rapidement possible en assignant leur débiteur plutôt qu’en tentant de trouver une solution amiable avec celui-ci.
La solution retenue peut donc paraître en désaccord avec la tendance actuelle dans la justice française incitant de plus en plus souvent à résoudre amiablement les litiges pour ne pas encombrer les juridictions, pour certaines déjà noyées sous les contentieux. Il ne serait donc pas étonnant que l’idée de faire de la mise en demeure par LRAR une cause interruptive de prescription – déjà évoquée lors de la réforme de 2008 – refasse surface lors des prochaines réformes consacrées à la justice.
Toutefois, en l’état actuel du droit, il ne saurait être trop conseillé aux parties d’être attentives au délai de prescription de leur créance, même après avoir envoyé une mise en demeure. Ce d’autant plus qu’en fonction des matières, les délais de prescription peuvent être plus courts : c’est par exemple le cas notamment en matière de droit de la consommation où l’action du professionnel contre le consommateur se prescrit par deux ans seulement.
Attention : l’arrêt du 18 mai 2022 concerne uniquement l’interruption de la prescription, et non sa suspension. Ainsi, si une phase amiable est sans effet sur l’interruption de la prescription, il n’en va pas de même s’agissant de la suspension. En effet, la loi prévoit que « la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation ». Les mises en garde relatives à l’inutilité de la négociation amiable peuvent donc être nuancées : certes, un demandeur n’obtiendra pas l’interruption de la prescription par cette voie, mais il pourra, en cas de conciliation ou médiation, en obtenir la suspension.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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Photo: zolnierek
10 réponses à « Une mise en demeure interrompt-elle la prescription ? »
Bonjour, merci pour cet article. Une question pour aller plus loin, car aucune loi ne le précise : Si un particulier tente une conciliation après le délais de prescription, si le débiteur accepte de se rendre à cette conciliation, est-ce une renonciation tacite de son droit à la prescription ?
Bonjour,
Merci pour cette article mais j aurai besoin de précision.
Une mise en demeure envoyer sans accusé de réception , non reçu par le destinataire car déménagement bien avant l envois de la MED peut elle faire repartir le délai de prescription ?
Car le destinataire n étant pas au courant des faits qu ils lui sont reprocher ne peut répondre favorablement ou non à la dite mise en demeure et qu il n y a pas eu de reconnaissance de dette ni de médiation entre les 2 parties .
Merci.
Bonjour Maître,
Votre étude semble exhaustive, mais PRUDENCE. Une simple lettre amiable d’avocat adressée au notaire lors des opérations d’ouverture de liquidation, précisant que son client pourrait « ne pas s’opposer au versement d’une indemnité d’occupation », a été considérée, dernièrement, comme interruptive de prescription quinquennale au visa de l’article 2240 du C. c. par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Cordialement
Drôle de conclusion . C’est méconnaître le fait que la première réunion en conciliation ou en médiation est interruptive de prescription !!!
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Bonjour
Une reconnaissance de dette signée le 24 février 2010 avec un remboursement sue 10 ans, le créancier a voulu en faire cadeau, n à jamais demandé de remboursement
Le créancier décède le 27 février 2022 et aujourd’hui les héritiers demandent le remboursement de cette dette
Nous avons demandé la caducité car un délais de 2 ans est passé, les héritiers demandent une prescription de droit commun de 5 ans
Nous en tant que débiteur, que de ont nous faire, payer ou pas ?
D avance merci beaucoup de votre réponse